JONQUET
est surtout connu comme auteur majeur du polar contemporain. Son sulfureux roman Mygale va d'ailleurs être adapté au cinéma par Pedro ALMODOVAREssentiellement connu pour l'excellente facture de ses romans, tous d'une grande noirceur, et d'une remarquable construction narrative, il n'en est pas moins un nouvelliste, certes fort rare, mais qui ne néglige pas pour autant quelques incursions dans la speculative fiction ou le fantastique, avec toujours avec cet humour grinçant qui lui est si propre.
En témoigne brillamment sa nouvelle Ma puce [1] satire cruelle des pratiques sécuritaires dont la noirceur de l'humour n'est pas sans évoquer BRUSSOLO, DISCH ou BALLARD.
Alors, quand son premier recueil est enfin publié, on crie à l'événement. On se réjouit d'avance d'y voir la connerie humaine étrillée avec humour et talent, comme dans Trente-sept annuités et demi, charge d'une hilarante causticité contre la médiocrité de tous les petits chefs, passés, présents et à venir.La satire est aussi à l'honneur avec That's entertainment, dans un Enfer où le diable monte un spectacle où seuls sont invités les plus grands massacreurs. Il se trouve donc qu'Al CAPONE n'est pas très content de ne pas être invité, aux cotés des NIVELLE, JOFFRE, THIERS, ATTILA, TAMEYRLAND, POL POT et les dignitaires nazis. Il a quand même fait sa petite guerre des gangs, avec sa sanglante Saint-Valentin : le diable va-t-il céder ? Mais surtout, quel sera ce fameux spectacle ? Satire antimilitariste digne d'un KUBRICK, ce texte est un petit régal.
De l'Enfer, nous passons au Paradis, avec La colère d'Adolphe, ou comment BEETHOVEN, Charlie PARKER, John COLTRANE et Adolphe SAX menacent de faire la révolution au paradis, qui n'est d'ailleurs qu'un... vaisseau spatial !
Mais Thierry
JONQUET
sait aussi soigner ses chutes, comme dans Natalya, où l'on voit un James Bond en mauvaise posture jusqu'à une double chute aussi imprévisible que perverse, à l'humour imparable. Ou encore dans Automne, short-short dont l'imprévisibilité de la chute est digne du meilleur BROWN.Mais c'est aussi dans une anticipation digne de la noirceur d'un DI ROLLO qu'excelle notre auteur, avec Les gars du 16, mais surtout avec La bataille des Buttes-Chaumont. Nous sommes en 2028, il n'y a plus de sécu, plus de droit d'asile non plus. Le problème, c'est qu'il y a une quantité d'immigrés dont il faut se débarasser, physiquement bien entendu. Le problème, c'est qu'ils sont armés, et ne risquent donc pas de se laisser massacrer comme ça. L'originalité vient également du narrateur, un mystérieux personnage qui a participé à presque toutes les batailles et les horreurs depuis l'Empire romain. Nous lisons donc l'histoire de cet assaut meurtrier, avec la lancinante question de la nature du narrateur, dont la longévité n'est pas sans évoquer ZELAZNY. Mais la noirceur n'est pas seulement dans l'anticipation, comme en témoigne sa nouvellisation d'un fait divers, avec Le témoin.
Brillant, grinçant, louvoyant entre nouvelle noir sur la misère sociale (La vigie), la speculative fiction ou le fantastique, Thierry
JONQUET
nous offre un livre exceptionnel, comme un répertoire de la multitude de ses talents.Si vous ne connaissez pas l'auteur, voici une excellente occasion de combler cette lacune. Si vous le connaissez déjà, vous pouvez y aller les yeux fermé : ce livre se dévore d'une traite, et il est tout simplement exceptionnel.
Si vous ne lisez pas de nouvelles, voici une excellente occasion de faire une petite exception, à moins de ne pas aimer la bonne littérature.
[1]Ce texte a été publié dans une anthologie consacrée à la prison, qui contient aussi une superbe nouvelle SF de Martin WINCKLER :
Noire de taule
Anthologie de Gérard DELTEIL
Les belles lettres