C’est la question que l’on se pose en lisant la quatrième de couverture de ce roman, laquelle évoque forcément les mêmes souvenirs de lecture chez les habitués. Pour les autres, voici en vrac quelques références : Rama de Arthur C. Clarke, Gaïa de John Varley, l’Anneau-monde de Larry Niven, le Chardon de Greg Bear, Omale de Laurent Genefort, etc… autant de traitements différents pour un thème qui est quand même l’un des plus rebattus de la science-fiction, le Big Dumb Object comme certains l’ont surnommé.
Résumons. Le Grand vaisseau est un artéfact grand comme une géante gazeuse et creusé de milliers de chambres vides. Nul ne sait rien de la civilisation qui l’a bâti, ni des motivations de ses constructeurs. Un beau jour après avoir traversé les gigantesques espaces vides intergalactiques, il franchit les limites de la Voie Lactée. Il se trouve aussitôt investi par les Terriens qui se l’approprient au nez et à la ventouse des multiples extra-terrestres qui le convoitent également. Nos zélés et futuristes descendants s’empressent de le transformer en vaisseau de croisière et roule la planète. Mais, le Grand Vaisseau cache un secret, forcément…
Tout ceci a un goût de déjà lu, n’est-ce pas ? Cependant, Robert
Reed
est un auteur qui jusqu’à présent m’a très rarement déçu. A ce propos, ses précédents romans donnent de lui l’image d’un touche à tout qui s’est rarement cantonné à un aspect de la science-fiction et a toujours su faire entendre sa petite musique à la tonalité très humaine.C’est donc avec de l’espoir que j’ai entamé cette lecture et … j’en ressors avec un avis très mitigé, voire carrément déçu.
Tout au long de "Marrow", on a l’impression que
Reed
joue une partition qui ne lui correspond pas. La psychologie des personnages, si fine habituellement, est croquée à la hache. D’entrée, la distribution des rôles est très claire. Des méchants qui restent méchants et des gentils à l’avenant. Que tout ce beau monde soit immortel ne change rien à l’affaire. Pas de rédemption, ni éventuellement, de complexité psychologique. Ensuite, le récit lui-même est boiteux.Reed
semble tiraillé entre son goût pour l’humain et une intrigue balisée, verrouillée et qui n’offre aucune surprise en perspective, ni aucune émotion d’ailleurs.Le roman est découpé en cinq parties. De la page 9 à 59, on assiste à l’entrée en scène du vaisseau. Au cours de celle-ci,
Reed
nous donne un bref aperçu de sa population : quelques extra-terrestres caricaturés en goguette, les capitaines qui les encadrent. Quoi d’autre ? Ah oui, les rémoras, cette population mutante d’origine humaine qui vit sur la coque et qui avait déjà fait l’objet d’une nouvelle éponyme parue en 1994 et rééditée à la façon d’un teaser dans la revue catalogue des éditions Bragelonne. De la page 229 à 349, il ne se passe rien ou presque… Un groupe de capitaines commandé par deux protagonistes féminins importants (Miocène et Washen) explore secrètement une salle secrète – le fameux Marrow – et y fait naufrage. Le capitaine en chef, seule maîtresse à bord du vaisseau après qui vous savez, ne vient pas leur porter aide. Oubli volontaire, complot, ou autre événement dramatique ? Pas de panique, la réponse est donnée en fin de partie. En attendant, les naufragés doivent reconstruire une société technologique avancée afin de regagner la surface. Ils ont le temps car ils sont immortels, je le rappelle. Les millénaires s’écoulent, entrecoupées d’ellipses entre chaque chapitre qui permettent de trouver le temps moins long mais gomment fâcheusement l’aspect humain des relations et le processus de recréation d’une civilisation. Les naufragés croissent et se multiplient (ils sont immortels mais se reproduisent), puis se divisent en deux camps : les Loyalistes et les Indociles (des fanatiques religieux). De la page 229 à 349, on change de point de vue en liant connaissance avec le capitaine déchu Pamir. Bonne surprise, c’est le premier personnage véritablement travaillé et l’intérêt monte en flèche. Pas longtemps puisque la guerre éclate. Les Indociles attaquent conformément au plan. Quel plan ? On voit bien que vous ne suivez pas. Ils s’emparent du pouvoir sur le vaisseau, massacrent la Maîtresse et son état-major, aussitôt remplacés par Miocène (celle-là, dès le début je ne la sentais pas). Etre calife à la place du calife, c’est finalement ce qu’elle a toujours voulu. De la page 353 à 401, la guerre est totale. C’est le chaos. Les rémoras sabotent le vaisseau, pour la bonne cause, tout le monde manipule tout le monde, les dupes se ramassent à la pelle et finalement les gentils sont victorieux. De la page 405 à 413, ah tiens ! C’est l’épilogue. Et la fin est ouverte idéalement pour insérer une suite.Juste un dernier mot pour terminer.
"Marrow" est présenté par une quatrième de couverture racoleuse à souhait, comme la réponse américaine à Iain Banks et Robert
Reed
comme un des fondateurs du NSO (New Space Opera). Le rattachement deReed
à ce genre qui semble considéré comme le nouveau Graal me laisse songeur. De plus, en terme de comparaison, ce roman n’arrive pas au niveau de l’ongle du petit doigt de pied de l’auteur Britannique. En fait, j’ai bien l’impression que dans un avenir très proche, il va falloir s’habituer à subir l’étiquette NSO, à tout bout de champ et sous toutes les déclinaisons imaginables, en espérant échapper aux suppositoires, bien que le mode d’application soit commun avec le procédé adopté pour nous vendre ce roman.En attendant, il va sans dire que je ne conseille pas la lecture de ce roman.
PS : "Marrow" est le premier volet d’une série qui compte désormais un second épisode intitulé "The Well of Stars" et paru outre-Atlantique en 2004. Avis aux amateurs, je parie que Bragelonne est déjà sur les rangs...