« Il est des lieux maléfiques qui ne devraient pas exister. Il est des villes malfaisantes où l’on ne devrait pas demeurer. Calcutta est de celles-là. Avant Calcutta, pareille idée m’aurait fait rire. Avant Calcutta, je ne croyais pas au mal, et surtout pas comme s’il était une force indépendante des hommes. Avant Calcutta, je n’étais qu’un imbécile …»
L’histoire :
1977, Robert Luczak est un poète romantique, heureux comme la majorité des hommes vivants aux USA, avec une vie comme tout le monde, marié avec sa charmante femme d’origine indienne, et père d’une jolie petite Victoria. Puis on lui confie la mission d’aller à Calcutta, pour chercher le manuscrit d’un poète indien, Das, qui est porté disparu depuis huit ans. Or, ce manuscrit est beaucoup récent que cela. Luczak prend donc l’avion, accompagné par sa femme et sa fille et découvre, dès les premiers pas à l’aéroport, Calcutta, dans toute sa grandeur, dans toute sa misère et tout son mystère…
Ambiance.
Ce qui est fascinant dans ce roman, c’est l’ambiance que réussit à retranscrire
Simmons
, cette ambiance moite, étouffante, où la misère est omniprésente.Calcutta la grande, riche de par ses religions plus ou moins obscures, riche par ses milliers de mendiants criant « baba » à tous les touristes. La misère, la puanteur, les castes, les intouchables, tout cela cristallisé dans ce maelström routier, ses ghettos, véritables taudis de miséreux, décrits froidement pour traduire la réalité.
A quoi ressemble vraiment Calcutta aujourd’hui ? Toujours plus ou moins la même chose : le trafic est véritablement incroyable, où les morts sont quotidiens. Mais l’Inde est véritablement un vivier : rien que pour sa production cinématographique, elle est numéro un en terme de quantité, dont une bonne partie est médiocre, mais bon…
Ici,
Simmons
s’attache au mystère dont s’est toujours entouré les Indes, dont on parle toujours des sacrifices humains sur les autels sacrés de Kali ou Shiva. Et effectivement, l’Inde reste mystérieuse, encore de nos jours…Premier jet.
Ce livre est le premier roman de Simmons, et je dois dire que j’ai été impressionné par la maîtrise du roman, alors qu’il s’agit de sa première tentative. Certes, il y a quelques défauts, comme certains clichés inévitables sur les indiens ou leurs croyances, le fait que le roman soit (volontairement ou non) linéaire, mais la fin est suffisamment bien amenée pour que le lecteur ne voit pas tout de suite où l’emmenait l’auteur.
L’horreur.
J’avoue avoir eu de bons moments de tensions, avec certaines scènes volontairement dans l’obscurité, suffisamment bien décrites, pour qu’on se sente dans la peau du personnage. Mais j’aurais voulu qu’il aille encore plus loin dans l’horreur, qu’il pousse encore plus le bouchon, pour avoir la nausée, sans tomber dans le cliché. J’aurais aimé plus de gore mais finalement l’auteur a bien su doser, pour que cela reste lisible sans avoir la tête dans les toilettes ;)
Une dose d’Hypérion.
On sent que
Simmons
a peut-être déjà l’idée d’Hypérion, au vu de certaines références que j’ai relevées : Kali comme le Gritch, le poète Keats est mentionné, la présence d’un poète maudit.Bref, ce roman est tout à fait remarquable en tant que première œuvre pour le jeune
Simmons
, à l’époque.Extraits :
« Un nouveau tunnel nous conduisit dans une ruelle interminable qui était une véritable fourmilière humaine. Nous débouchâmes dans un terrain vague où la plupart des immeubles avaient été rasés pour être remplacés par des tentes et des abris de fortune. Un grand trou, peut-être naguère une cave, était rempli d’eau de pluie et servait d’égout. Des hommes et des gamins s’aspergeaient en criant, tandis que d’autres s’amusaient à sauter des fenêtres du premier étage des immeubles qui entouraient cette mare aux eaux glauques. Non loin de là, deux gosses nus riaient en piquant avec un bâton un rat noyé, gonflé d’eau. »
« Plus loin, un gosse était debout sur un cageot au milieu d’un cercle d’eau trouble. Il balançait par la queue ce que je crus être un chat mort. Il le jeta quand le bus approcha. Ce ne fut que lorsque le cadavre rebondit avec un bruit mat sur le pare-brise que je vis que c’était un rat. Le chauffeur poussa un juron et fit une embardée, éclairant une seconde les jambes brunes du gosse quand il sauta du cageot qui s’écrasa sous la roue avant droite »