Simmons
. Un pavé de 700 pages qui signe le retour de l’auteur dans le genre fantastique, qu’il n’avait pas abordé depuis l’Echiquier du mal. Annoncé comme un livre majeur de la rentrée littéraire, édité par Robert Laffont sous une superbe couverture en parfaite adéquation avec le sujet du roman et avec une traduction signée par l’excellent Jean-Daniel Brèque (traducteur notamment du Quatuor de Jérusalem de Whittemore), Terreur se présente donc sous les meilleures hospices.Cette fois, il est question de l’expédition Franklin, qui entre 1845 et 1848, va chercher le passage du Nord-Ouest au sein du pôle arctique. Malheureusement, l’expédition va rapidement tourner au cauchemar. Pris dans les glaces du pôle Nord, les deux navires de l’expédition, le HMS Erebus et le HMS Terror, sont incapables de mener leur mission à terme ou de l’abandonner. Les 150 marins de Franklin sont piégés au cœur d’une contrée sans chaleur et très souvent sans lumière. Pour compléter ce tableau déjà peu joyeux, une chose énorme, bien plus imposante qu’un ours polaire, rode autour des navires et des hommes, les massacrant au cœur du blizzard et même sur leurs propres bateaux. Étrange coïncidence, la bête, surnommée par les hommes « La Terreur », fait sa première victime avec la découverte d’une Esquimaude à la langue arrachée qui sera bientôt surnommée lady Silence par les matelots. Dans ces conditions, comment survivre à l’enfer blanc et à l’hostilité de la créature des glaces surtout lorsque le capitaine Franklin meure prématurément et doit céder le commandement à son second, le capitaine Crozier…
C’est donc le pari de nous narrer cette terrible épopée que relève
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. Il est d’emblée important de souligner l’abondance des détails historiques qui jalonnent le livre. En effet, comme on le constatera dans les remerciements de l’auteur en fin d’ouvrage, celui-ci a abattu un travail de recherche proprement impressionnant sur l’expédition Franklin. De plus les détails sur la marine anglaise du XIXème siècle, la survie en milieu arctique ou encore les précisions sur la culture esquimaude achèvent de poser non seulement un cadre plus vrai que nature mais aussi d’enrichir un livre qui l’est déjà énormément. Ainsi vous saurez tout des grades d’équipage ou de la classification des embarcations de secours, et tout cela sans jamais être indigeste, ce qui, il faut l’avouer, est assez étonnant et réjouissant.Sur cette solide base historique,
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va donc devoir instiller la terreur dans l’esprit du lecteur. Là où bien d’autres se seraient contentés de la facilité d’écrire un jeu de cache-cache morbide entre les marins et la chose des glaces,Simmons
choisit d’être bien plus complet pour faire opérer la terreur sur bien plus de niveaux.Car si Terreur est le nom du livre, il fait savoir que c’est aussi un sentiment suscité par divers éléments du récit. Il est d’abord bien évident que La Terreur, cette bête des neiges que l’on aperçoit comme une ombre gigantesque et dont les griffes et crocs déciment l’équipage, cette Terreur là représente toute la bestialité et la cruauté de l’environnement arctique qui s’abat sur les hommes tel un Dieu Païen cruel. Mais contrairement à ce que laisserait penser le résumé du livre, ce n’est pas du tout le cœur du livre, ou plutôt la principale source de Terreur de l’histoire.
Si l’horreur et la peur naissent dans ce livre c’est avant tout par les conditions de ce coin du pôle Nord. Les matelots et leurs officiers doivent faire face à une contrée recouverte de neige et de glace, balayée par des vents et tempêtes terrifiantes sans compter sur une température qui descend jusqu’à -70°C !
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effectue là un travail d’orfèvre, celui de nous plonger au cœur du froid polaire avec ces malheureux prisonniers et de nous donner froid rien qu’à la lecture de son livre. Et c’est bien là le premier des sujets de terreur que l’on ressent au fil des pages, celle de mourir de froid, pris dans la gueule d’un monstre bien plus effrayant que celui cité précédemment, le climat arctique.De ces conditions climatiques extrêmes découlent forcément deux autres terreurs d’une autre nature, celle de la faim et de la maladie. Ces deux fléaux rajoutent encore au martyr des marins et
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n’épargne rien au lecteur notamment par la bonne idée de détailler les rations que reçoivent les hommes au fur et à mesure de leur périple mais aussi, par l’intermédiaire du Dr Goodsir, de nous narrer par exemple le détail des effets du Scorbut qui ravage les rangs de la Royal Navy. A ce sujet, je ferais une petite digression pour mentionner que l’atmosphère de l’expédition, et le tempérament des officiers notamment, est très british, exactement comme on se l’imagine pour des serviteurs de Sa Majesté à cette époque, ce qui ne fait que rajouter une touche d’authenticité au récit notamment grâce aux flashbacks que nous exposentSimmons
.Chose étrange, l’un des deux navires de l’expédition, sur lequel on passera d’ailleurs le plus de temps au cours du récit, le HMS Terror (et il porte bien son nom) est à la fois une source de terreur de plus tout en étant l’ultime refuge des hommes pourchassés sur la glace. Une ambiguïté étrange s’installe entre ce pseudo-sentiment de sécurité et celui d’un endroit noir et glacé qui cache en son sein des fantômes et toutes sortes de monstres.
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en joue très bien à la fois par ses descriptions mais aussi par l’ambivalence des marins envers leur foyer-tombeau.Enfin la dernière des terreurs que suscite le livre dans les mains de son lecteur affamé, malade et gelé, c’est celle d’un monstre terrible, bien plus sûrement que la créature qui hante la banquise : L’homme. En effet, plus l’histoire avance vers son dénouement tragique, plus la situation semble dénuée d’espoir et plus les hommes retournent à leur état animal luttant pour leur survie. Que ce soit par une mutinerie ou par l’abandon terriblement poignant de malades qui ne représentent plus que des fardeaux pour les survivants, l’homme se transforme en monstre qui n’a plus grand-chose à envier aux terreurs qui l’entourent.
Ce sujet là, celui de la mort, forcément très présent dans les pages du livre, entre cruauté d’un dieu qui a abandonné ses sujets et d’un homme qui a abandonné son humanité, est un sujet délicat que
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a parfaitement négocier. Ici on ne vire pas au larmoyant inutile, l’auteur vise juste sans en faire trop. D’une mort solitaire d’hommes qui savent leur fin arrivée à celle d’un malade scorbutique le jour de son anniversaire ou encore celle, plus brutale, de matelots réduits en charpie par la bête,Simmons
est toujours talentueux pour en faire juste ce qu’il faut, maniant le non-dit avec un talent certain.Le non-dit reste d’ailleurs un procédé très maîtrisé par l’auteur. L’histoire s’écoulant sur plusieurs années, il était à craindre un certain enlisement dans la narration, peut-être une lenteur qui tuerait le rythme, mais il n’en est rien car l’art de l’ellipse pour s’intéresser aux évènements les plus notables est pleinement convaincant dans son application. Mais ce n’est pas le seul écueil qu’évite
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, celui de nous raconter l’expédition depuis ses débuts jusqu’à son emprisonnement aurait pu être fastidieux, rebutant le lecteur par la lenteur de l’action à décoller mais celui-ci choisit d’entrelacer les fils narratifs de plusieurs personnages, du simple enseigne au capitaine lui-même pour éviter de rendre le début de l’histoire laborieuse et procédant par des flashbacks qui éclaircissent le comment du pourquoi sans que cela nuise à l’atmosphère générale si bien que l’on plonge directement au cœur des ténèbres arctiques.Derniers points, les personnages et l’histoire en elle-même. Comme je l’ai mentionné, le caractère britannique de l’équipage est très bien retranscrit par la façon de s’exprimer de ces derniers mais aussi par leur us et coutumes. De plus la psychologie et l’état d’esprit face à l’adversité de la situation de chacun des marins et officiers est nettement défini et distingué par l’auteur que ce soit par la façon de parler du personnage ou ses préoccupations. Enfin l’histoire globale n’est pas en reste, rondement menée et très bien rythmée, la chose agissant souvent comme un catalyseur de l’action, le lecteur ne s’ennuie pas et même se trouve plongé dans les ténèbres avec les autres matelots, frissonnant et désespéré. La conclusion et la dernière partie achèvent de manière très convenable l’histoire. Sans bâcler la fin,
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rajoute en plus une patte clairement fantastique là où la majorité du récit se contente d’y voir une sorte de fil rouge discret incarné par la mystérieuse Silence et la terrible Némésis des marins.Sans véritables défauts donc, teinté de fantastique, Terreur se révèle tenir de nombreux domaines. Et le lecteur ne peut que se réjouir du retour d’un si bon auteur, servi de surcroît par une si excellente traduction, à une littérature de genre qui peut s’enorgueillir encore une fois d’accueillir des œuvres de grandes qualités. Et si le voyage dans le froid absolue et les ténèbres insidieuses ne vous effraie pas, si l’idée d’apprendre une foule de détails sur un grand fait historique ne vous rebute pas, alors Terreur est fait pour vous.
Car Terreur tient du livre historique, du livre fantastique ou du livre d’horreur mais avant tout Terreur a tout du grand livre.