La couverture signée Patrick Imbert est très réussie
Le monde tous droits réservés n'est pas tout à fait ma première incursion dans l'univers de Claude
Ecken
.J'avais déjà eu l'occasion de me frotter à ses idées à la fois scientifiques et humaine grâce à La fin du Big Bang, dans l'excellent recueil Les Passeurs de MIllénaires, et Le Propagateur dans le Bifrost 42.
L'impression générale que j'en avais retiré était celle d'une SF intelligente et réflechie, une SF qui tente de maintenir le lien entre la technologie et ses impacts sur les hommes, en profondeur. Une SF qui donne envie d'en lire plus.
Cet ouvrage confirme mon analyse, tant sur les thèmes que sur la qualité de l'écriture et l'imagination de l'auteur.
Très bonne qualité d'ensemble, il faut pourtant reconnaitre que le livre est irrégulier. Le recueil oscille.
Entre le méchamment prévisible:
Membres à part entière: imaginez un monde où presque toute la population a perdu l'usage de ses jambes à la suite d'un virus ou d'une maladie.
Imaginez un homme valide qui travaille dans un labo et qui se mutile pour ne plus être rejetté.
Quelle sera la chute finale?
Les déracinés: imaginez qu'on a transformé des êtres humains en plantes.
Imaginez qu'ils se rebellent et se retranchent dans un endroit clos. Comment diable allez vous vous débarrasser de ces plantes?
Dommage d'ailleurs que la fin soit tant téléphonée dans cette nouvelle, l'idée est magnifique, magnifique, et aurait mérité d'être développée.
Entre la SF genre "période classique" un rien surannée.
Où l'on se retrouve avec un étonnant mélange de "ouais, ok, c'est de la SF standard old-fashion" et un vrai plaisir nostalgique de cette SF là: La bête du recommencement, La Dernière mort d'Alexis Wiejack.
Entre des idées splendides mais gâchées.
Les déracinés comme déjà dit, Fantômes d'univers défuntsdont le titre est une catastrophe tant il gâche le plaisir d'une révélation qui aurait été puissante et belle si le lecteur l'avait découverte au fur et à mesure de la nouvelle...
Entre des textes d’excellente qualité mais dans lesquels il m’a manqué quelque chose, une implication plus profonde. L’unique, Esprit d’équipe. J’ai ressenti la narration comme une sorte de catalogue des options offertes par l’idée de départ. Un coté un peu articificiel. Le monde tous droits réservés pourrait aussi entrer dans cette catégorie, si ce n'est que son propos est particulièrement bien vu, parfaitement actuel dans sa critique du système des médias. Lire, par le plus grand des hasards: "L'information était banalisée au point d'être dévaluée, répétée en boucle à l'image d'un matraquage publiciaire, jusqu'à diluer les événements en une bouillie d'information qui accompagnait l'individu tout au long de la journée" pile au moment où un avion a disparu en mer et que tout ce qu'on sait c'est qu'il a disparu, et que cette seule info occupe tous les médias des heures durant, sur toutes les chaines, partout, toute la journée effectivement, répétée à l'infini effectivement est une sensation qui fait froid dans le dos.
Entre, enfin, des textes très très bons, voire majeurs.
En sa tour, Annabelle. En quelques pages poignantes et superbe, une poésie tragique qui vous hante à mon avis très longtemps. En tous cas un texte placé désormais très haut dans mon panthéon perso des textes qui vous touchent au coeur.
Edgar Lomb, une rétrospective, excellent.
Les deux meilleures nouvelles du recueil sont sans conteste Éclats lumineux du disque d'accrétionet La fin du Big Bang.
Eclats lumineux mélange la physique et la sociologie. Dans sa préface Roland C. Wagner signale qu’au départ il ne voyait pas clairement comment
Ecken
allait lier les deux. De fait au début de la lecture, ce n’est pas évident. Ca devient clair progressivement et c’est vraiment réussi.Ecken
pousse la logique de la solidarité nationale jusqu’à la transformer en cauchemar social. Impressionnant.La fin du Big Bang est juste splendide. De la Hard SF « humaniste » : quel être humain devient-on quand le monde se transformer régulièrement devant vos yeux et que vous êtes le seul à vous en rappeler ?
Cet ouvrage a reçu le Grand Prix de l'Imaginaire. Il le mérite.
Un recueil à lire, sans aucun doute.