Elcana est un petit. Non un chérubin gorgé d'amour, mais il appartient à ceux chez qui le destin s'est trouvé las de l'échelle habituelle. Dans sa campagne reculée, la commode prophétique a murmuré son chemin entre les linges : Un jour, il sera Roi. Alors il grandit, aussi haut qu'il le peut, puis s'exile et sera recruter par Dreamland, le parc de Coney Island, jadis dominé par les gangs, afin de compléter la grande oeuvre de Sébastian, Lilluputia, une ville attraction, la cité des Nains.
Xavier Mauméjean nous livre un bouquin stupéfiant, qui brasse de nombreuses qualités tout en étant également un livre étrange, oscillant entre roman fantastique et conte moderne.
Le style est incroyable, les phrases sont bourrées de jeux de mots et/ou dotées d'une double signification, si bien qu'on souhaite sans cesse refaire un tour de manège sur ces tournures d'esprit, tant elles semblent être l'appendice logique de Dreamland. Les dialogues sont eux même des spectacles, trop bien tournés pour constituer la réalité, magnifiés, ou relevant de vers antiques, comme l'indique Mauméjean dans la Postface. Alors, on se prend rapidement à la fête, ou plutôt à la Tragédie, car dès les premières foulées à Dreamland, au Royaume sans couleurs, on se souvient qu'Elcana a un destin à accomplir, et non des moindres.
On pourrait sans doute trouver de nombreuses significations à cette revisite moderne du mythe de Prométhée à travers l'univers factice de Dreamland. Bonheur illusoire, Société du spectacle, ect, j'en passe et des meilleurs.
Le futur monarque haut comme trois pommes voit surtout dans sa nouvelle ville un monde où le hasard, c'est à dire les destinées modernes, a été écarté. Sébastian et ses deux compères supervisent tout, et les petits n'ont qu'à se contenter d'un bonheur calculé, déterminé par des plans précis où tout écart est sévèrement réprimé. Ils ne sont que les pantins vivants destinés à l'amusement des grands, les vrais enfants.
(Métaphore du fatalisme social qui pèse sur notre propre destin? Nos possibilités se sont réduites en peau de chagrin si bien que nos mobiles intérieurs ne pèsent plus rien? Peut être, faites vos propres (sur)intréprétations, on a à nouveau le choix ici.)
Une aubaine pour Elcana, puisque cette coercition des destins va lui permettre de vivre le sien pleinement. Il va ainsi apprendre à maîtriser les flammes, en devenant, par le plus grand des hasards, pompier.
Il découvre alors que le Feu n'est plus l'apanage des Lilliputiens, mais bien celui de Sébastian, qui fixe les incendies ainsi que leurs extinctions. Dieu a repris le Feu, et Elcana compte bien le restituer aux nains.
"Elcana étudierait les flammes avec ardeur, absorberait leur force jusqu'à ce qu'elle lui brûle le ventre afin qu'il devienne, à son tour, incendie."
Devenir Incendie, ça sera donc sa vocation; et si son foie en pâti, il ne pourra pas dire qu'il n'avait pas été prévenu.
Il va s'ensuivre un déroulement mythologique croisé avec l'histoire des Gangs de Coney Island puis à celle de la fondation du Steeple Chase, fosse aux monstres, créatures esseulées chez qui Elcana verra ses compagnons prophètes, avec qui il annoncera la mort de Zeus, Sebastian.
C'est beau, riche en couleurs dans un royaume qui en est dépourvues : l' Ancien Narioch, le lieu sans ombres. Beaucoup de scènes et de personnages truculents viennent rendre vivant un décor sans âme et une servitude camouflée, c'est un régal à chaque convulsion enchaînée du pompier. On s'attendrait alors naturellement à une fin en apothéose, et pourtant....
...et pourtant, que penser de cette fin? À vrai dire, je me pose encore la question.
Sans vous la dévoiler, elle m'apparaît troublée. Il faut, je crois, réfuter la thèse du pessimisme. Si le mythe prend son propre chemin, c'est à mon sens, que se retrouver parachuter dans un monde délivré de Dieu est une chose dure à avaler, et une nouvelle épreuve commence à la dernière page, peut être plus délicate que la précédente. Le scepticisme peut commencer, et le propre feu créateur doit trouver son nouveau combustible.
Un roman, qui pris au premier degré, serait certes intéressant, mais dont le héros serait décevant, distant et où la fin nous frustrerait sincèrement. Mais avec la richesse de la symbolique, Xavier Mauméjean réussit un tour de force, celui de mettre en scène une vaste allégorie - à nous d'y voir ce que l'on souhaite-, délicate, touchante, sérieuse mais décontractée, où le divertissement n'est jamais absent car au contraire, on ne peut s'empêcher, à chaque jeu de langue, de sourire.