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à l’honneur [1], voici venir "Orages mécaniques", chez Bragelonne. Et croyez-moi, ces orages là sont d’une autre trempe que le potache "Konnar le barbant".Commençons d’abord par un peu d’archéologie éditoriale, celle de ces trois orages mécaniques.
"Kid Jesus" et "Le sourire des crabes" furent publiés sous le nom de Pierre
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, respectivement chez J’ai lu et Pocket. "Mais si les papillons trichent" fut lui publié au Fleuve noir (collection Anticipation) sous le nom de Pierre Suragne.Ces trois romans se rattachent à la même période que l’omnibus de Lunes d’encre, le
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des années 70. Romans politiques, parfois dickiens, souvent noirs et occasionnellement violents, ils ne font absolument aucune concession au lecteur.Pierre
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a commencé en écrivant du western. Et cela se ressent dans "Kid Jesus", qui reprend de nombreux archétypes du western, et de la ruée vers l'or."Kid Jesus" donc, puisque c'est le plus récent qui ouvre ce recueil classé à rebrousse-temps.
Nous sommes dans un futur lointain, dans les années 2350. 2350 après quoi, allez savoir ! La Terre a été ravagée par un cataclysme, et vit une nouvelle période glacière. Nous sommes avec Julius Port, un fouilleur parmi des milliers d'autres, qui possède pour tout bien son camion dans lequel il vit, comme tous les fouilleurs. Les fouilleurs sont au plus bas de l'échelle sociale. Ils fouillent des terres qui n'ont pas encore été ouverte à la colonisation. Ils y cherchent des objets, ou plutôt ce qu'il reste de la Terre d'avant l'apocalypse. Ils les revendent ensuite à vil prix à des intermédiaires, qui eux le revendent au meilleur prix au consommateur. La vie est dure, et surtout sans aucun espoir. Jusqu'à ce que Julius décide de changer les règles du jeu. Il vient en effet de trouver un important stock d'essence. Il refuse de le vendre aux intermédiaires, et propose aux fouilleurs de se le partager. Son idée lui est venue avec un film sur un certain Jésus Christ...
Loin de sombrer dans la religiosité la plus étroite et réactionnaire, Julius va au contraire prêcher la communion entre les hommes, sous le nom de Kid Jesus. Et pour communier, il faut bien partager les richesses, non ?
Disons le tout net, Kid Jesus n'est pas un roman théologique. Le Kid de
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est plutôt socialiste et révolutionnaire que contre le divorce ou l'avortement. Kid Jesus n'est pas non plus un simple roman politique, prônant des idées généreuses.Pelot
est autrement plus malin que cela ! "Kid Jesus" est plutôt une réflexion sur le pouvoir et le contre-pouvoir. Un homme seul, aidé d'autre gueux peut-il vraiment changer les choses ? Doit-il pour cela composer avec le pouvoir plutôt que de le renverser ? Car renverser le pouvoir n'est-il pas une dangereuse illusion ? Mais négocier avec le pouvoir, n'est-il pas une trahison pure et simple des idéaux originels ?Sous ses dehors un rien manichéen, faussement manichéens d'ailleurs, "Kid Jesus" est au contraire une réflexion fine et sans concession sur le pouvoir, qui ne se prive pas de nous rappeler que le contre-pouvoir n'est jamais qu'un pouvoir. Adversaire résolu de tous les pouvoirs, anarchiste de coeur et de raison, Pierre
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nous offre avec "Kid Jesus" une belle et fine réflexion sur le pouvoir, la religion, l'individu, l'économie, mais surtout la manipulation. Vous avait-on déjà dit à quel point cette réédition était opportune ?Et n'oubliez pas la critique de Lacroute, mille sabords !
Passons maintenant au meilleur roman de ce recueil, "Le sourire des crabes", où il est aussi question de... pouvoir.
"Le sourire des crabes" anticipe "Tueurs nés" avec presque 20 ans d’avance, mais surtout avec du talent.
Nous sommes maintenant dans un futur proche, et la France a basculé dans un fascisme mou. Elle est dirigée par le Prince, vieille crapule minable qui a repris le mot d’ordre de Mobutu : "Moi ou le chaos". Finis les oppositions stériles, l’incurie démocratique, les conflits sociaux et les grèves. L’ordre règne, la France bosse et ne conteste plus. Le peuple est heureux, puisqu’il a du pain et des jeux : du boulot donc, mais surtout la télé. L’émission phare est animée par Guy Lux. Il s’agit d’un direct quasi-permanent, où passent des films amateurs. Nous sommes cependant loin de Vidéo gag, car il s’agit ici d’accidents, de tueries, d’attentats et autres carnages sanguinaires. Panem et circenses, ou le retour des Jeux du cirque.
C’est dans cette France là que Cath sort tout juste de l’hôpital psychiatrique. Elle retourne chez son père, pour y retrouver son frère Luc. Le frère et la sœur communient dans la haine du père, soutien indéfectible du Prince. Face à un avenir bouché et une contestation impossible, ils n’ont plus rien à perdre. Il ne leur reste plus qu’à prendre une voiture et des armes, pour régler son compte à la société spectaculaire-marchande. Et quoi de mieux qu’un centre commercial, pour se défouler ?
Autant le dire tout net, "Le sourire des crabes" est un roman frappant, et ce à plusieurs titres. Tout d’abord, la violence. C’est bien simple, on se croirait dans "La horde sauvage" ou "Les chiens de paille" de Peckinpah. Même nihilisme, même désespoir, même fatalisme. Ici aussi, la violence est l’expression logique de la révolte solitaire et sans espoir du desperado. Elle n’en est pas moins gratuite, car ce ne sont pas les personnages clés du régime qui sont visés. La haine est dirigée contre tout le monde, contre le troupeau, parce que tout le monde (ou presque) s’accommode du régime. En chaque citoyen sommeille un flic potentiel. S’attaquer à n’importe qui revient donc à s’attaquer aux sbires du Prince.
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anticipe brillamment la télé-réalité, tout en s’inscrivant résolument dans son époque, celle de la Bande à Baader et des Brigades rouges mais aussi de la Cour de sûreté de l’Etat. Loin cependant, de tomber dans la fascination du terrorisme, l’auteur garde une certaine distance qui n’est pas sans rappeler celle de Jean-Patrick Manchette dans "Nada" (1972). Mais nous sommes aussi en SF, et en bon lecteur de Dick,Pelot
sait ménager ses effets, et ne manquera pas de surprendre crânement le lecteur.A une époque où l’on peut voir sur internet –plutôt que chez Guy Lux- la pendaison de Saddam Hussein, "Le sourire des crabes", must du polar d’anticipation, court et nerveux, est plus que jamais d’actualité. D’une triste actualité : celle de notre face sombre.
Arrive enfin un troisième roman au nom curieux : "Mais si les papillons trichent". Voici donc un roman qu'il est bien difficile de résumer, sous peine de le trahir. Et croyez-moi, ce serait vraiment dommage, car ce roman est vraiment une belle réussite. Essayons donc de résumer brièvement.
Nous sommes dans l'Union des Etats fascistes d'Amérique. Un Etat privilégié puisque l'eugénisme systématique a permis d'avoir un taux relativement bas d'anormaux : moins de la moitié de la population est atteinte !
Price est prêtre de la Nouvelle religion catholique éclairée (religion éclairée...). Il doit bientôt se marier avec Natcha. Mais il sait déjà qu'ils ne pourront pas avoir d'enfant, puisque la santé mentale de Natcha ne le permettra pas.
Natcha est elle mariée depuis huit ans avec Price, dont la schizophrénie va en s'aggravant. Bien sûr, ils n'ont pas pu avoir d'enfant à cause de l'eugénisme en vigueur.
Et si le fou n'était pas forcément la personne que l'on imagine ?
"Mais si les papillons trichent" est un roman vraiment surprenant. Publié au Fleuve noir, il a probablement un peu souffert du format imposé. On sent que l'auteur aurait aimé en rajouter encore une couche, ce dont le lecteur aurait pu se réjouir. Mais ne boudons pas notre plaisir pour autant. Nous avons là un roman dickien terriblement retors, dont l'étrange titre prend toute sa signification une fois la dernière ligne lue. Et c'est vraiment là que l'on se rend compte à quel point
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est un auteur doué, très doué. Ce dernier roman n'est d'ailleurs pas sans rappeler le meilleur de Dominique Douay, autre grand dickien qu'il serait urgent de rééditer !Résumons-nous donc : 3 romans de Pierre
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épuisé depuis belle lurette. 3 romans fort différents, comme autant de facettes du talent de PierrePelot
, qui sont là pour nous rappeler qu'en France aussi, on sait faire de la sf.Pelot
en est une excellente preuve, comme on peut le voir en lisant ces "Orages mécaniques".Mais "Orages mécaniques" n'est pas qu'une simple réédition. Il faut également saluer l’élégante postface de Claude Ecken. Claude est à la fois un ami de
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et un amoureux de son œuvre. Le lire parlant de l’œuvre -foisonnante s'il en est- de PierrePelot
est un véritable régal pour l’intelligence.Ah, et puis tant qu’on y est, et qu’il y a vraiment du très bon chez
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, ne passez pas à coté de "Pauvres zhéros". Le roman a été réédité à l’occasion de son adaptation en BD, avec des dessins signés Baru. Il va sans dire que les deux sont indispensables.Certes, cette âpre chronique vosgienne n’est pas de la sf. C’est du roman noir, très très noir même. Mais c’est du
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, et du très bon. Ne le ratez pas !Bref, en à peine quelques titres, et malgré des couvertures pas toujours du meilleur goût, Trésors de la sf s'impose d'emblée comme une collection phare et bienvenue pour tout amateur de sf. Souhaitons lui donc bon vent, et croisons les doigts pour y relire à nouveau du
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: il y a encore de quoi faire ![1] N’hésitez pas à en acheter pour vous et pour en offrir, il en reste plein !