Yves Frémion fut un des nombreux hommes-orchestres de la science-fiction française, à l’époque mouvementée (pour ne pas dire controversée) des années 70/80 ; et à la lecture de ce recueil, on situe bien l’auteur dans la mouvance de la SF politique française, avec influence de la new wave.
En effet, politique et sexe composent les thèmes principaux de ces nouvelles.
Dans la veine politique, un texte fait ouvertement référence au contexte français : Nous n’irons plus au bois, les phanyls sont coupés, qui évoque la confrontation de manifestants et de forces de l’ordre type gendarmerie/CRS. Ce genre de récit peut rapidement virer au tract, pénible et/ou naïf ; ça ne me semble heureusement pas être le cas ici, grâce à la brièveté du texte et à une chute non dénuée d’ambiguïté.
Parmi les autres histoires politiques, Belle viande, dis-moi qui t'habite... ne m’a guère convaincu : si elle n’est pas dépourvue d’idées, celles-ci me sont apparues trop visiblement conçues pour déjouer les attentes du lecteur. À mon sens, un texte plus roublard qu’astucieux, qui plus est d’une forme métafictionnelle plutôt grossière.
À l’inverse, Le Soviet de Retrograd et Lettre à mon fils m’ont beaucoup plu : la première nouvelle, qui traite de stratégie politicienne à long terme, de démagogie masquant une banale et néfaste soif de pouvoir, comporte une description de techniques de tortures (physiques, sensorielles, mentales…) éprouvante, terrible dans l’ingéniosité déployée ; la seconde, qui consiste en la lettre d’un père, leader révolutionnaire, à un fils qu’il sait ne connaître jamais et dont il souhaite qu’il prenne sa relève, parvient à un délicat équilibre entre le calcul et l’émotion.
Entre textes classiques, épistolaires et new thing, Frémion emploie quelque fois le registre de la fable : c’est le cas de la nouvelle-titre qui propose un tableau surréaliste saisissant, et critique l’enfermement d’esprits dans des systèmes de classes et de croyances sans se départir pour autant de son empathie envers ses personnages étrange(r)s là où il aurait été facile de n’en rien faire.
C’est le cas aussi des Dévorés qui se réfère explicitement à la fable du joueur de flûte de Hamelin et narre une histoire de lutte de classe dans un improbable univers SF en manquant singulièrement de subtilité.
C’est peut-être le cas de La belle au planeur dormant, un texte que j’ai du mal à cerner (ce qui n’est pas un défaut en soi…), entre érotisme et perversité, sentiment et tragédie.
C’est le cas enfin de Fille de joie, fille de tristesse (la mouche de mai évoquée en 4ème de couverture…) qui s’appuie sur les figures de la putain et de la sainte et verse rapidement dans le cliché.
Sexe-duo, bouche du bas, comme son titre le suggère, est la nouvelle qui parle le plus crûment du sexe. Son intérêt majeur réside dans son personnage principal, un cyborg d’un genre très spécial : un accidenté qui a fait greffé ce qui lui reste d’humain dans une voiture de sport. Hélas, le texte peine à se maintenir à la hauteur de cette intrigante prémisse et débouche sur un final bien terne.
Finalement c’est quand Frémion se fait sensible qu’il me convainc le plus : Lente chaleur de la chair (initialement parue dans Les territoires du tendre) présente une utopie ethno-SF où le lien amoureux est le ciment du lien social, et l’absence de tout cynisme combiné à une cohérence tenue jusqu’au bout en fait à mes yeux une réussite ; Cosmosculpture débute par une réflexion sur l’art pour se poursuivre en histoire d’amour, et m’a charmé par ses accents ballardiens.
En conclusion, j’ai trouvé dans ce recueil suffisamment de bonnes choses pour que je n’en regrette aucunement la lecture ; mais trop de lourdeurs pour que j’éprouve l’envie de pousser plus loin ma découverte de l’ auteur…