Dick
, en en dépoussiérant au passage la traduction, quand elle n’en propose pas carrément une nouvelle (et non des moindres romans de ce polygraphe : Le maître du haut-château, Le dieu venu du Centaure, Coulez mes larmes, dit le policier). Ce premier tome couvre presque une décennie, avec toute la production romanesque deDick
pour les années 50 (contre 3 tomes pour les années 60).Ce qui frappe le connaisseur du nouvelliste, c’est la différence entre ses nouvelles et les romans des années 50. Autant
Dick
trouve facilement et rapidement sa voix et ses thèmes comme nouvelliste, autant la naissance du romancier se révèle finalement laborieuse. Il faudra vraiment attendre les années 60 pour voir arriver les grands romansdick
iens, ceux sur lesquels sa réputation est assise.Il faudra même attendre 4 ans, soit 1957, pour que les premiers romans que l’on pourra enfin qualifier de
dick
iens apparaissent ce qui fait un beau cadeau d’anniversaire pour les 100 ans de Madame Bovary et, n’oublions point Zomver, Les fleurs du mal.On pourra donc s’interroger sur la pertinence de la réédition des premiers romans de
Dick
, tant ils n’apportent finalement rien à la réputation de l’auteur (contrairement à Priest par exemple, dont nous attendons avec impatience la retraduction du Rat blanc ou à Disch), et si peu à la sf. Tout au plus considérera-t-on à juste titre Loterie solaire comme le moins pire des Van Vogt, première preuve s’il en est du talent deDick
. Les chaines de l’avenir ne marque pas non plus son lecteur outre mesure : si l’on y retrouve quelques germes de l’œuvre à venir, le traitement ne laisse pas vraiment de souvenir, sauf peut-être pour les amateurs de toute la quincaillerie sf de l’Age d’or (colonisation de Vénus, extraterrestres arrivant sur Terre). Soyons clairs, il s’agit d’avantage de littérature de gare, et ce n’est que comme cela que ces deux premiers romans conservent un intérêt. Lus comme tels, ils sont même tout à fait honorables.Ce n’est véritablement qu’avec Le profanateur que l’intérêt du lecteur s’éveille. Si le roman présente d’incontestables faiblesses (contexte dystopique bien trop peu développé, personnages encore creux), il peut toutefois se montrer divertissant pour sa critique sociale, bien qu’hélas à peine ébauchée elle aussi. Au moins y sent-on déjà émerger quelque chose. En premier lieu l’aversion de
Dick
pour l’autorité coercitive (on a presque l’impression que les Castro et Guevara se sont inspirés des méthodes de cette dystopie pour fonder leur dictature). En second lieu, sa critique de la société de consommation, et notamment de l’arrivée de la télé et des soap operas, dont le statut dans ce roman n’est pas sans rappeler le statut des romans dans 1984, ou des films dans Delirium circus de Pelot. Ébauche incontestablement prometteuse mais hélas ébauche inaboutie, ce roman est surtout intéressant pour lesdick
iens, et les amateurs d’histoire de la sf.Les pantins cosmiques est lui autrement plus intéressant, même s’il ne concrétise pas tous les espoirs que l’on pouvait raisonnablement placer en
Dick
. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre, nous sommes plutôt dans le fantastique, un fantastique qui tend même vers l’horreur. Un homme revient avec sa famille dans le village de son enfance, à ceci près qu’il n’y reconnait plus rien. Le village n’a pas simplement changé, il n’est tout simplement plus le même. Et quelle n’est pas la surprise du narrateur de voir des fantômes, et surtout de s’apercevoir qu’il y est mort enfant ! C’est un curieux mélange finalement que ce roman encore balbutiant, car c’est dans le fantastique que les thèmesdick
iens prennent pleinement leur place pour la première fois. C’est même là le principal intérêt de ce roman, qui marque finalement plus l’œuvre deDick
que le fantastique.L’œil dans le ciel marque lui aussi un autre saut qualitatif. Tout d’abord parce que c’est le premier roman de sf pleinement
dick
ien. À partir d’un scénario à la Stan Lee, des personnages pris au piège par un imprévu scientirique, vont basculer d’une réalité à l’autre, chacune étant celle d’un des visiteurs. Ainsi, le vieux militaire offrira à ses visiteurs un voyage cosmique où ils se rendront compte qu’ici, c’est la Terre qui est au centre du système solaire. Ou que chez une autre, certains animaux qu’elle estime nuisible n’existent tout simplement pas. On saluera ce traitement original, qui consiste à dépeindre chacun des personnages à travers la weltanschauung de chacun, qui devient à chaque fois le monde de tous. Toutefois, le roman souffre à mon sens d’un problème majeur : c’est qu’il y manque une véritable intrigue pour cimenter le tout (celle, par exemple, qui permet à Mémo d’André Ruellan d’être le chef-d’œuvre que l’on sait). On passe simplement d’un monde à l’autre, on le découvre et puis vient le suivant. C’est assez schématique et finalement trop didactique pour convaincre pleinement, même si le roman ne manque pas de qualités.Ce n’est finalement que Le temps désarticulé, qui permet de clore ce recueil en beauté. Il s’agit incontestablement du premier chef-d’œuvre de
Dick
, curieusement publié un quart de siècle plus tard en France, dans l’excellente collection Dimensions SF. Arrivé donc chez nous bien après Ubik et Le maître du haut-château (1970), mais aussi Le dieu venu du centaure (1969), il ne débarque que la même année que Coulez mes larmes, dit le policier (curieusement traduit tout d’abord par Le prisme du néant). Sans doute cette brusque affluence de romans majeurs nous aide-t-elle à mieux comprendre l’engouement pour Philip K.Dick
, notamment de la part d’auteurs de la trempe d’un Pelot, dont plusieurs chefs-d’œuvre se ressentent de l’influencedick
ienne (Le sourire des crabes, Transit, Delirium circus). Mais cessons ici cette digression et venons-en au romandick
ien à proprement parler.Comme pour Les pantins cosmiques, il s’agit d’un roman qui boude résolument le futur pour s’ancrer dans l’Amérique d’Eisenhower. Celle des petites villes sans histoire ni véritables notables, proprettes et prospères. C’est ici que vit Ragle Gumm, qui est devenu une célébrité malgré lui. Il gagne en effet systématiquement le concours organisé par le journal du coin, qui consiste à trouver « Où sera le petit homme vert demain ? ». Vainqueur systématique, cela lui permet de vivre de ce concours, de ces énigmes dont la résolution lui demande presque une journée de travail à chaque fois. Puis de ce canevas résolument mainstream (c’est encore l’époque où
Dick
n’a pas renoncé à la littérature mainstream), nous passons par petites touches subtiles à une sf aussi maitrisée qu’angoissante. D’un bottin dont les numéros sont inconnus au nombre de marche permettant d’entrer dans la maison, en passant par un journal parlant d’une inconnue nommée Marilyn Monroe, les choses se délitent petit à petit. Ce qui est perçu est-il vraiment ce qui est ? Dans ces Correspondances baudelairiennes, voire ce bovarysme se joue en réalité le sort du monde. Reste donc pour Gumm à découvrir le monde dans lequel il vit vraiment, et surtout à comprendre qui le manipule et pourquoi ? La sf est ici pleinement celle d’unDick
enfin arrivé à la pleine mesure de son talent, mais aussi en rupture avec un Age d’or déjà bien déclinant, et c’est sur une (très) bonne impression que l’on ferme ce recueil, qui avait jusque-là laissé son lecteur un peu mitigé.S’il n’est jamais mauvais de faire revoir une retraduction par un traducteur de qualité, on s’interrogera ici sur l’intérêt de ce recueil.
Tout d’abord, la préface de Gérard
Klein
. On y retrouve certes quelques fulgurances qui firent le bonheur de ses préfaces au Livre de poche, mais aussi l’enflure mégalomaniaque du personnage. Au moins lui sera-t-on toutefois reconnaissant de ne point sombrer ici jusqu’au pathétique.Les romans enfin. Quel est l’intérêt d’avoir fait revoir la traduction des tous premiers romans de
Dick
, dont l’intérêt reste pour le moins franchement mineur. De la littérature de gare (Loterie solaire et Les chaînes de l’avenir) signée Philip K.Dick
reste de la littérature de gare ; un roman prometteur mais finalement inabouti (Le profanateur) ne seront finalement à conseiller qu’auxdick
iens purs et durs qui ne les ont pas lu. Une incursion dans le fantastique qui affirme les thèmesdick
iens (Les pantins cosmiques) tout en pêchant par sa mollesse et ses longueurs, à quoi s’ajoute le premier roman de sfdick
ien (L’œil dans le ciel) didactique et redondant jusqu’à frôler l’ennui n’apporteront là encore rien au novice, ni audick
ien qui les a déjà lus.Au final, seul Le temps désarticulé présente un véritable intérêt, tant au niveau de l’œuvre