Au coeur des années 80 paraissait aux éditions Denoël une revue de SF laconiquement titrée... Science Fiction!*
Son sommaire était constitué, en large majorité, de non-fictions (articles, entretiens), aérées par une poignées de courtes nouvelles.et accompagnées d'une iconographie (en noir et blanc) aussi riche qu'hétéroclite.
Ses numéros étaient thématiques, se consacrant soit à un auteur du genre (Ballard, Matheson, Sheckley, Dick) soit à un sujet général (politique, peurs, France XXXIème siècle)
Initiée en janvier 1984, la publication ne s'étendra que sur trois ans, le temps de sept numéros, et s'achevera en novembre 1986.
Ce numéro se développe en trois partie.
La 1ère partie traite de Richard Matheson et comprend :
- Une présentation sommaire de son oeuvre.
Présentation au statut un rien problématique car dévoilant aux néophytes le denouement de trois romans majeurs (Je suis une légende; L'homme qui rétrécit; Le jeune homme, la mort et le temps) et n'apprenant rien aux amateurs.
[illustrations : The Omega Man et The Incredible Shrinking Man, films; Shock ! et Shock 2, recueils]
- un entretien avec Richard Matheson (daté de 1985).
Où l'on aborde principalement les rapports de l'auteur avec le cinéma et la télévision, et l'importance qu'il accorde au maintien du rythme et à l'adéquation du casting.
[ill : The Twilight Zone, la série; les adaptations d'Edgar Poe, les films de Roger Corman (scénarisés par Matheson)]
- La poupée, un scénario écrit pour la Quatrième Dimension (mais non tourné).
Une histoire d'âmes solitaires, d'une délicatesse toute romantique mais très, voire trop, classique.
[les dessins d'illustrations m'ont induits en erreur : je m'attendais à une histoire de ventriloque...]
- Être seul de son espèce, une analyse de l'oeuvre mathesonienne signée Robert Louit.
Cet article, repris dans l'intégrale des nouvelles (chez Denoël comme en J'ai lu), est à mes yeux tout bonnement essentiel pour qui viendrait à s'intéresser aux univers et aux procédés de l'auteur américain.
Voilà qui conclut magistralement la partie critique qui lui est consacrée.**
[ill : portraits; films; Twilight Zone; Shock]
Tant qu'il y a de la vie, une nouvelle.
Le thème en est rebattu : l'enterré vivant.., traité quelques fois par Edgar Poe. Mais l'intérêt n'est pas là : c'est la précision et l'efficacité de la prose mathesonienne qui frappent. Un vrai travail de pro (bien dans le tons de ses dernières nouvelles, moins spectaculaires et pyrotechniques qu'à ses débuts mais tellement maîtrisées..!)
Un bémol : le titre choisi. L'originel, Where there's a will ,était plus pertinent
[ill : portrait; film (non identifié)]
La 2ème partie aborde le vaste thème de la peur et comprend :
- La peur, c'est la vie, un court article de l'essayiste Julia Kristeva.
Commentaires sur le sujet, libres et personnels (jusqu'au psychanalytique). Un ensemble confus.
- Un entretien avec l'historien Jean Delumeau, lequel parle avec mesure de la peur à la Renaissance.
Un choix de période intéressant qui évite le proche et si réputé obscur(antiste) Moyen-Âge.
[ill : de jolies gravures anciennes]
- La magie de la peur, un article de Jean-Baptiste Baronian.
L’écrivain belge, auteur d’un Panorama de la littérature fantastique de langue française, se penche sur les mécanismes du genre, conçus pour distiller au mieux l’effet d’épouvante.
Clair et précis, ce texte peut se lire comme la véritable introduction de cette 2ème partie…
[ill : deux couvertures non identifiées]
Angoisse ou... féérie, article de Juliette Raabe sur la défunte collection Angoisse au Fleuve noir.
L’étude s'attache aux titres et illustrations de couvertures des ouvrages, aux motifs et compositions récurrents et à ce qu'ils évoquent. Une approche originale et rafraîchissante.
[ill : des FNA, bien sûr!]
- Ablation et multi-régénération tissulaire,une nouvelle de Michael Blumlein, médecin et écrivain.
Une histoire chirurgicale dans la lignée de La foire aux atrocités ballardienne. Où l'on retrouve le personnage de Ronald Reagan.
L'auteur maîtrise naturellement son sujet et sa plume factuelle remplit bien sa fonction.
L' ouverture finale est d'une belle portée science-fictive.
(De peur, je n'en ai point trouvé. Une certaine forme de beauté, oui. )
[ill : Ronald Reagan; écorchés]
- Un garçon douillet, une nouvelle d'André Ruellan, sur-titrée par l’étrange et poétique Contes de la guêpe saoule…
Il s’agit là de la suite d’Une torture à visage humain, une des nouvelles les plus reprises de l’auteur.
Pour soutirer des informations à un (pas si) dangereux anarchiste, un Etat policier use de moyens aussi sophistiqués que délirants.
Un régal d’humour absurde et noir.
Une 3ème partie*** porte sur la Science-Fiction et contient :
- Science-fiction phase 4, un article de Michel Jeury, explicitement sous-titré Pourquoi la science-fiction ?
L’auteur, qui publia son premier roman de SF vingt-cinq ans plus tôt, revient sur ses premiers contacts avec cette littérature, évoque sa jeunesse rurale dans un monde passé, mais surtout pas figé, sur le quel souffle le vent du changement, expose des vues théoriques aussi brèves que profondes. Sans jamais placer la science-fiction sur un piedestal, il parle de ce «divertissement stimulant » qui mûrit en fiction nécessaire, trace des « itinéraires simulés (…) vers la connaissance », « joue sur l’échelle du temps comme sur un clavier »…
Humilité, pertinence, clarté empreignent ces quelques pages, formant l’un des plus beaux textes qu’il m’ait été donné de lire sur le genre.
- Contre la notion de para-littérature, un article de Gérard Klein
Transcription d’un discours prononcé en 1977, à Montréal, lors d’un colloque sur la paralittérature.
L’auteur commence par rejeter toute légitimité à une séparation, franche et marquée, entre des genres d’œuvres supérieurs et subalternes puis rappelle l’Histoire du livre en montrant que les distinctions qui s’opérent entre les textes procèdent bien souvent de raisons politiques ou économiques.
Ensuite, il s’interroge sur la permanence de l’impact d’une œuvre sur le lectorat et en vient à considérer la littérature comme ayant pour fonction d’ « être un des véhicules par quoi les subjectivités individuelles et collectives se parlent à elles-même et parlent entre elles ».
Un dernier article intéressant (qui aurait toutefois gagné à se finir moins abruptement).
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Au final, si ce Science Fiction 3 s’est avéré, dans l’ensemble, moins enthousiasmant que je l’avais espéré (la faute à des textes de fiction manquant de surprises et à deux articles de peu d’intérêt), la variété des textes théoriques, l’originalité des illustrations et la présence de deux grands textes (celui de Robert Louit sur Matheson et celui de Jeury sur la SF) en justifient amplement la lecture.
* avec ou sans trait d’union ? C’est non sur les couvertures et oui en pages intérieures…
** à un détail près : la présence d'un coquille dans la citation de la phrase finale de la nouvelle Escamotage lui coupe tout effet.
*** les illustrations de cette partie, principalement de couvertures, sont très variées et me sont difficilement toutes identifiables.