Cadavres exquis
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Sable
un cadavre exquis proposé par lacroute

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lacrouteLeo
Fragon


Sable

Chapitre 2 proposé par Leo
Ce texte a été déposé le 01/06/2006


     Elle roula sur le dos en dédiant un sourire immense au zénith. Le ciel de Sable était terriblement vide, profond comme un océan. Certains voyageurs, sans doute aidés par quelque substance gagazifiante, affirmaient y avoir vu le Grand Charriot Blanc de Mojili, la Déesse de la Pluie, exilée dans les étoiles par Assouram, Dieu du Soleil plutôt grincheux. La Mission allait mettre ces divinités théâtrales au pas, les assimiler proprement dans le panthéon des Saints du Calendrier Galactique.
     Elle murmura quelque chose qui sonnait comme souménnéssi, que mes connaissances étriquées et livresques de sa langue ne me permirent pas de comprendre. Je n'eus pas le cœur de lui demander des explications. Elle s'était redressée d'un bond et secouait le sable en balançant des hanches et en claquant ses bras le long de son corps, avec une grâce qui me laissa pantois. Au contraire de moi, qui me voyais transformé en mutant de silice, le sable lui collait à peine à la peau.
     Elle s'en allait déjà avec un petit sourire, négligeant mon regard suppliant. Je ne pouvais pas quitter sa silhouette ondulante du regard comme elle s'éloignait à pas vifs et disparaissait dans un contre-jour fulgurant derrière la dune, laissant la trace bénie de ses pieds sur la pente.
     Je me ressaisis. La voix de la raison me répétait que ce genre de choses n'existe que dans les scénarios faciles de la littérature pour adolescents, et que je venais probablement de compromettre l'ensemble de la mission, et que nous allions bientôt devoir répondre devant toute l'Assemblée des Anciens du village. Une autre petite voix me disait que j'allais aussi devoir répondre devant Celui qui m'envoie sur les routes de sa Création pour annoncer sa Bonne Nouvelle.

     Mais, dans le fond, je n'avais pas vraiment honte de moi, j'avais seulement un peu honte de mon absence de honte. Je ne dis rien à la Mission, qui était en réunion de Préparation au Premier Contact dans la salle de travail du vaisseau. L'ordi qui faisait office de bibliothèque dispensait de sages conseils de prudence et répétait qu'il ne fallait jamais oublier de sourire, même quand on se faisait un sang d'encre ou que les autochtones se payaient ouvertement votre tête.
     Lorsqu'ils furent tous descendus sur le sable, à répéter les formules de salutation de la langue locale, je me tournai vers l'ordi et lui demandai de chercher souménnéssi dans le chétif dictionnaire dont nous disposions. Le mot n'y figurait pas, mais l'ordi me suggéra que l'expression voisine sou ménni si signifiait tu as plongé, et que soumén né sin signifiait j'ai une de ces migraines. J'optai pour la première solution.
     Cherchant des informations sur le verbe ménni, plonger, qui paraissait bizarre sur cette planète sans eau, je dénichai un mot dérivé intrigant, ilaménni, qui désignait un rituel sur lequel on savait très peu. Certaines sources le décrivaient comme un baptême païen, d'autres comme une fête ancestrale qui célébrait la mémoire de la Déesse Enni, qui était morte en engendrant les peuples de Sable.
     Une note de coin d'écran glissait négligemment que ce mythe se retrouvait sur un nombre impressionnant de planètes dans ce quartier de la galaxie, et que c'était forcément un effet du hasard facétieux car personne à ce jour n'avait pu en fournir une explication raisonnable. Je me sentis soudain très mal préparé pour la mission qui m'attendait.

     Ils furent très accueillants, dans l'ensemble. Les vieux, et surtout les vieilles, nous posaient beaucoup de questions. Les enfants nous observaient à l'abri de leurs parents, avec de grands yeux pleins d'une enivrante curiosité terrifiée. Mi-attristé, mi-soulagé, je notai l'absence de Serpentine. J'avais parfois un peu de mal à comprendre les questions qu'on nous posait, mais Isidore, le Moine des Légendes Ancestrales, qui était le plus calé des quatre, faisait parfois office de traducteur.
     Ils voulaient savoir, bien sûr, d'où nous venions, mais les détails galactographiques les intéressaient peu. Ils voulaient surtout savoir à quoi servaient ces tissus que nous nous mettions sur la peau comme tous les voyageurs qui passaient par ici. Les Pères Evangélisateurs se chargeraient en leur temps de raconter l'histoire du Père en Colère et de la Feuille de Vigne, aussi nous nous contentâmes d'expliquer que les habits nous protégeaient du soleil, ce qui était vrai. Nous leur demandâmes comment ils parvenaient à résister à sa brûlure et à ne pas sécher sur pied, mais ils ne comprirent pas la question. C'était comme demander à un arbre comment il supporte de vivre les pieds dans la terre.
     Nous leur offrîmes quelques gadgets qui ne les enthousiasmèrent que modérément, des friandises qu'ils n'apprécièrent que poliment. Et ce fut leur tour de nous faire goûter des choses dont je ne retenais pas le nom sur le moment, et qui semblaient décliner toutes les variétés imaginables de galettes, de bouillies et de croquettes. Il n'y avait pas le moindre fruit.
     Nous étions très curieux de savoir d'où ils tiraient leur nourriture, les récits à ce sujet étant pour le moins confus. Certains disaient qu'ils extrayaient des tubercules de plantes souterraines qui pointaient des feuilles gigantesques et éphémères une fois par an pour faire provision d'énergie. D'autres disaient qu'ils avaient des jardins secrets et sacrés qu'aucun étranger ne peut espérer visiter. Nous allions tirer tout cela au clair.

     Nous mourions de chaleur, aussi nous annonçâmes que nous allions rentrer nous reposer à notre campement. Nous ne voulions pas non plus les déranger trop longtemps dans leurs activités quotidiennes, dont nous ignorions presque tout. Nous les invitâmes à venir nous rendre visite quand bon leur semblerait.
     Avachis sous la grande tente commune, nous bûmes comme des trous. L'eau était tiède. Comme je reposais mon gobelet, Aristide, le Moine Vidéaste à qui rien n'échappait, s'exclama soudain: «Niro... Ta main...»
     Quoi, ma main ? Une tache bleu-délavé s'étalait largement sur ma paume. Elle dessinait une étoile de mer. Un soupçon m'assaillit. Mon autre paume hébergeait la même étoile de mer.
     Ils se mirent tous à inspecter leurs mains avec des yeux effarés, mais ils étaient indemnes. Nous allâmes consulter l'encyclopédie médicale à bord. Intoxications alimentaires, morsures d'animaux venimeux, tout y passait. Je me tenais coi. Je n'allais rien leur dire. Et puis, qu'ils arrêtent de courir dans tous les sens. Je vais bien. Je vais très bien. Je ne me suis jamais senti aussi bien de ma vie. Calmez-vous...


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lacrouteLeo
Fragon

Science-fiction

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