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Vibration
un cadavre exquis proposé par Ione
5 chapitres ont été proposés pour ce cadavre exquis
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Vibration
Chapitre 2 proposé par morca Ce texte a été déposé le 13/11/2004 |
Kamaiovski, la gorge sèche, concluait laborieusement son exposé.
«Nous n'avons donc pas d'éléments clairs explicitant l'action chimique couplée du NH-3 - dont la production a été stoppée - et de l'héroïne, excepté ce fort taux de lulibérine. Les lésions cérébrales, quoique apparemment soumises à une certaine logique, ne semblent pas pouvoir s'expliquer par ce seul fait.
Pour ce qui est des... ectoplasmes, que nous avons baptisées «bioïdes», les spécimens disséqués semblent avoir connu une certaine forme de vie. En tout cas, s'être animés un temps. Nous avons en effet pu constater, par l'état des corps, qu'il y a eu, entre eux, des rapports... belliqueux.
Etonnement, aucun d'eux n'est doté d'un organisme fonctionnel. Leur aspect extérieur est celui d'un être viable mais il est impossible qu'ils aient pu vivre, tel que nous l'entendons... Pourtant, si la structure interne de ces créatures est chaotique, elle est bien organique...
Bref, nous sommes, au final, au regret de devoir conclure que... le mystère reste entier.»
Des expressions de désapprobation déformèrent les visages des auditeurs. Kamaiovski leur laissa le temps d'intégrer les conséquences du long rapport qu'il venait de soumettre. Les participants représentaient sans doute une bonne part de l'élite scientifique. Mais malgré cela, ou à cause de cela, il leur serait difficile d'admettre qu'ils n'auraient rien à se mettre sous la dent.
«Cependant, l'on a toujours des raisons de penser que ces bioïdes sont des créations sorties tout droit de l'imaginaire culturel du jeune homme. C'est pourquoi je me permettrais immédiatement d'interpeller le docteur Groven, psychanalyste, qui doit vouloir prendre la parole, car je le vois trépigner sur sa chaise !»
Si cela avait été nécessaire, Groven eut compris la tension qui régnait dans la salle par les rires qui jaillirent soudain. Rires bien trop puissants, vue la pauvreté de la plaisanterie. Il fallait cependant remercier Kamaiovski du soulagement qu'il procurait.
«Vous auriez pu être psychologue, professeur.»
«Je vois que votre maîtrise vous permet, même en ses instants terribles, et tout en plaisantant, de ne pas oser m'imaginer psychanalyste. Vous êtes sûrement l'homme de la situation !» relança Kamaiovski, avec un large sourire.
Les rires redoublèrent. Groven s'en félicita. Les auditeurs ne seraient plus sur la défensive.
«En effet, ces «bioïdes» ne sont pas des inconnus : on y reconnaît certains archétypes des films de l'époque glorieuse de la science-fiction. On pourrait, dès lors, dire de leur créateur qu'il manquait quelque peu d'imagination !»
Personne ne rendit son sourire à Groven.
«Dans le délire, souvent psychotique, le sujet peut halluciner. Hallucinations, pour lui, tangibles ! Bien qu'imaginaires, ces créations n'en gardent pas moins un rapport au réel. Pour exemple, le délire hystérique. Rappelons-nous les grandes hystériques de Charcot ! La disparition des crises mystiques, des arcs hystériques signe-t-elle la disparition de l'hystérie ? Non, bien sûr. Simplement, l'hystérique emprunte, pour son délire, des éléments de la culture ambiante. On la retrouvera, aujourd'hui, dans la fibromyalgie, maladie qui ne trompe que ses victimes : il s'agit là d'un symptôme hystérique moderne... Ce jeune homme, lui, a emprunté dans un fond culturel un peu suranné, mais psychanalytiquement parlant, puisqu'il s'agit de la vidéothèque du père de sa mère.
Si l'on part de cette hypothèse, celle du délire, la question est : comment un délire, réel pour le sujet, peut-il devenir tout-réel ?»
Groven patienta quelques secondes. Si quelqu'un pouvait apporter de l'eau à son moulin...
«Une sorte d'hallucination collective ?» C'était Tekuza.
«Une hallucination bien persistante ! Mais dîtes-moi, qu'avez-vous déduit de l'étude du lieu de l'évènement ?»
Tekuza s'étrangla.
«C'est absurde. Rien ne peut expliquer que... que l'appartement soit plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur.»
Un cri de surprise unanime fit trembler la salle. Groven garda une posture raide, parfaitement assurée. Trop parfaitement, car, en fait, il devait contenir une tension intense qu'il déchargea soudain en reprenant la parole :
«Il y a un lieu où ceci est possible. Ce lieu se nomme monde virtuel».
C'était trop tôt, trop vite : les remous qui agitaient la salle s'amplifièrent.
«Voulez-vous dire que nous vivons dans un ordinateur ?» moqua quelqu'un.
«Son délire à lui, c'est Matrisse !» lança un autre.
«Matrix» rectifia-t-on.
La foule, bien que constituée d'individus supposés réfléchis, commençait à s'échauffer comme n'importe quelle foule. Groven éleva le ton.
«Je dis simplement qu'il va peut-être falloir se poser des questions sur le réel même. Je laisse la question ouverte. Peut-être sommes-nous dans un ordinateur, comme l'a suggéré quelqu'un (Groven se félicita intérieurement de ce renvoi de paternité). Personnellement, je n'irais pas jusque là. Pour moi, il s'agit bien du réel. Mais un élément - peut-être le NH-3 - y aurait généré... comme un bug.»
A part un rang de militaires qui restaient impassibles - peut-être même n'écoutaient-ils pas - le public soufflait, riait, sifflait.
Bien qu'ayant prévu la réaction, Groven en fut profondément déçu.
«Je ne prétends pas détenir la vérité, messieurs. Toutes les voies seront à explorer. Et si quelqu'un a une meilleure hypothèse de travail, je m'effacerai volontiers.»
Il attendit que chacun avoue, par le silence, son impuissance, puis termina :
«Dans tous les cas, étant donnés les stocks de NH-3 encore en circulation, d'autres accidents sont à craindre. Et rien ne dit que le prochain théoïde - le mot me vient - ne génère des créations plus élaborées, plus destructrices. Il faut nous y préparer. C'est pourquoi je propose que nous travaillions sur la création de ce que je nomme un biomodem. Vous connaissez les progrès réalisés depuis 2035 dans la traduction pensée/activité neuronale. Le biomodem permettra de pénétrer le délire même, d'en chercher les causes et de tenter de le stopper. La forme que nous étudions est sous la forme d'un projectile micromodem infrarouge muni d'un diffuseur de gelectrode. Je vous passe les détails, mais ceci permettra d'entrer en communication - communication floue, quasi onirique - avec le sujet et de faire une «télépsychanalyse d'urgence». Ceci n'étant qu'un possible complément à l'action des forces de l'ordre.»
Il fit un signe de tête en direction des faces patibulaires et uniformes qui le fixaient, le regard vide. |
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