- Tu plaisantes, là ?
- A toi de voir. Tout ce que je sais, c’est que si Robin des Bois vivait aujourd’hui, il subirait un bombardement intensif. La forêt de Sherwood serait rasée au napalm. On les enfumerait, lui et sa maléfique bande de joyeux drilles. Mon argument, vois-tu, c’est que toute cette histoire de donner-aux-pauvres, ce n’est pas seulement un sinistre complot, un prélude à s’emparer du pouvoir. C’est bien pire ; c’est de la politique à courte vue. Ce qu’il fait, Des Bois, c’est qu’il détruit les intérêts des pauvres en réduisant à néant les rouages de l’Etat. "
Cooper James est programmeur à Featherbrooks, une base militaire du conté d’York, en Angleterre, et qui fait a priori partie du système de défense nucléaire américain. A priori, parce que l’endroit est tellement sécurisé que Cooper ignore la plus grande partie de ce qui s’y passe réellement. Il ignore également à quoi sert son propre travail. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il écrit des routines pour servomoteurs ; après, ceux-ci pourraient tout aussi bien commander une porte de garage que l’ouverture des silos à missiles de l’apocalypse. Il est une sorte d’ouvrier du XXIème siècle, diplômé, intelligent, et effectuant une tâche d’une haute technicité de façon aveugle et mécanique. Enfin, il ignore ce qu’a bien pu devenir à son père, Jack Reever, un sculpteur américain qui est reparti pour les Etats-Unis alors qu’il n’était encore qu’un gamin. Encore qu’une partie du mystère de ce dernier point soit aujourd’hui levé de façon brutale, puisque Cooper reçoit sur son lieu de travail une boîte à café contenant les cendres dudit père. Choc. Deuxième choc, il est mis à pied pour une durée indéterminée. En effet, dans ce monde post-11 septembre et en pleine paranoïa de l’anthrax, envoyer une boîte remplie de poudre sur un site stratégique ne passe pas vraiment inaperçu.
Cooper va donc se lancer dans une odyssée trans-américaine, à la poursuite de deux décennies d’absence, plus dans le but de récupérer son job que d’honorer la mémoire de son défunt père. En effet, à l’aube de la trentaine, il reste en conflit ouvert avec ses parents. D’abord né et élevé dans une communauté hippie, anti-militariste, anti-nucléaire, le départ de son père a modifié le cours de sa vie de façon radicale ; réintégrant la société classique, il s’est depuis attaché à être un parfait spécimen de conformisme, parfois même un peu réac pour faire bonne mesure. C’est l’occasion rêvée de régler ses comptes avec le passé. Le sien, d’abord, et aussi celui de son père, un personnage bien plus complexe que Cooper ne le soupçonnait, et qui poursuivait un objectif plutôt étonnant : l’artiste bohème cherchait à créer des œuvres d’art à partir de déchets radioactifs.
C’est donc un voyage, non seulement à travers l’espace, mais surtout à travers le temps, qu’il va entreprendre, retraçant les pérégrinations de son père, et découvrant les coulisses de l’industrie atomique américaine.
Je regarde plus précisément le premier objet présenté, une grosse cuillère d’argent. " La Cuillère à Soupe Auto-Chauffante ", dit la légende. " Constituée de matériaux radioactifs recyclés à partir de détecteurs de fumée domestiques déclassés, la Cuillère à Soupe Auto-Chauffante est revêtue d’une couche d’américium spécialement conçue pour maintenir au chaud votre soupe durant le trajet qu’elle effectue entre l’assiette et vos lèvres. Parfaite pour les climats froids. "
Il y a plein de (bonnes) choses dans ce roman. D’une part, c’est une histoire assez intimiste, celle de la tentative de réconciliation posthume d’un père et d’un fils, en même temps que la compréhension et l’acceptation par ce dernier de ses origines. D’autre part, c’est un roman qui aborde les sujets du nucléaire, de la science en général, et de la relation entre la science et l’art. Tout ça tissé sur fond de deux mondes opposés : la communauté hippie des années 70/début 80, et les Etats-Unis de l’après 9/11.
Il ne s’agit pas à proprement parler de SF, mais on n’en est pas très loin. Les références au genre abondent, et la façon dont James
Flint
développe et exploite ses idées paraîtra familière au lecteur de science-fiction. Ce côté presque-mais-finalement-non évoque le Cryptonomicon, d’autant plus que la plume facétieuse deFlint
, l’humour toujours présent et les quelques digressions geek rapellent fortement le style de Neal Stephenson. C’est beau, c’est drôle, c’est intelligent, c’est documenté et psychologiquement très fin. Que demander de plus ?Quand Mam’zelle Asperge arrive au bout de vingt minutes, c’est au beau milieu d’un silence gêné. En l’attendant, j’ai appris plein de choses sur les urnes cinéraires et écouté plusieurs histoires sur des gens que Chip Berry connaît, qui ont dispersé les cendres de leurs parents et ne se sont jamais pardonné plus tard de l’avoir fait. " Et savez-vous ce que tous m’ont dit à chaque fois ? " Ainsi se terminent toutes ses histoires. " Ils m’ont dit ’’Chip, ce que cette expérience nous a enseigné, c’est qu’il existe une nécessité fondamentalement humaine de conserver plus qu’un simple signe, de conserver une part réellement physique du disparu, afin qu’il soit toujours avec nous de façon authentique.’’ "
Après avoir entendu ça trois ou quatre fois, j’explique à Chip que mon intention est de faire cuire les cendres de Jack dans une grosse tarte aux pommes que j’irais manger avec ses amis, une fois que je les aurais tous retrouvés. D’où le silence gêné.