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Sable
un cadavre exquis proposé par lacroute
3 chapitres ont été proposés pour ce cadavre exquis
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Sable
Chapitre 1 proposé par lacroute Ce texte a été déposé le 28/03/2005 |
Sable était une boule, blonde et nue, suspendue dans le vide. Une minuscule planète entièrement consacrée aux déserts. Une immense mer de sable sans eau. Un monde vierge que la Confédération avait jusqu'alors ignoré.
Marées houleuses de dunes immobiles poussées par le vent.
Vagues figées de matières inertes, lancées en ondulations répétitives et incessantes d'un horizon à l'autre.
C'était le paradis exclusif d'indigènes nus à la morphologie humaine. Sages, débonnaires et heureux. Ils se plaisaient à dire que nul ne pouvait tenir le destin de leur planète entre ses mains. A l'image de celui qui, cherchant à retenir une poignée de sable entre ses doigts serrés, verrait les grains s'échapper inexorablement.
Ils se trompaient. La Chrétienté allait les visiter. Un autre monde verrait le jour.
Tout là-haut, dans le noir infini et silencieux du vide, invisible de la technologie primitive des autochtones, le Vaisseau des Moines, l'Evangelisator VII, tournait en orbite elliptique lente, attendait patiemment son heure. Je me trouvais à son bord. J'en étais le Moine-Enlumineur de la Caste des Ethnologues. La Divine Mission Evangélique allait fondre sur toute une planète. Sa cible était Sable. Son destin était scellé, le mien aussi. Le Grand Cargo Spatial de la Mission Catholique se posa au creux d'une cuvette de sable, près d'un village aux petites huttes de verre opaque.
L'avant-garde bienfaitrice de la Pacification planta ses tentes au pied du vaisseau. Nous étions quatre. Moi, Niroslaw Witus, le barbouilleur, qui peignait les paysages, les scènes typiques des planètes en attente de Colonisation... Le Moine-Preneur-De-Sons qui traînait inlassablement son micro sur tous les lieux de vie de la planète... Le Moine-Vidéaste qui fixait dans ses rushs des tranches de vie objectives, filmées sur le vif. Fêtes et danses traditionnelles, cérémonies de mariage, réjouissances tribales et commémorations annuelles… Le Moine-Des-Légendes-Ancestrales qui retranscrivait patiemment et scrupuleusement ce que racontaient les Ancêtres le soir au cours des veillées autochtones. Son rôle était primordial. Sable avait une tradition orale exclusive, ne connaissait pas l'écriture.
Notre mission : intégration, prospection et archivage. Notre but atteint, la Sainte Evangélisation lâcherait ses fauves sur Sable... Les Prêcheurs, les hordes de Moines-Missionnaires, les redoutables Moines-Inquisiteurs à l'assaut des poches de rébellion. Dieu ne pouvait subir d'échec, ses moines non plus.
Elle fut la première à venir nous visiter, se planta devant la toile où j'étalais ma gouache. Le village de verre, au sommet de sa dune, s'y détachait en silhouette obscure sur le disque rougeoyant du soleil levant. Je tirais de grands traits au crayon tendre, au fusain et à la sanguine. L'esquisse des huttes et de l'astre naissait lentement sur la blancheur de la toile.
Elle tourna son visage vers moi en une lente rotation du cou. Des yeux bleus inondés de malice se plantèrent dans les miens. J'y ai lu comme une promesse, une attente que les baroudeurs de l'espace ne connaissaient que trop bien. Mais, là où d'ordinaire, se nichaient l'éternel défi et la sempiternelle provocation, je ne trouvais qu'innocence, tendresse et naïveté.
Longs cheveux tissés d'épis de blé mûr.
Yeux bourrés d'été comme d'immenses et lumineuses billes de ciel azuré.
Battements de cils comme ces envols de pigeons sur la place Saint Marc à NewVenise.
Inoubliables et attendrissants sourires en coups de sabre d'une oreille à l'autre.
Comme tous ses congénères elle vivait nue de l'aube au crépuscule. Son corps m'attirait irrésistiblement. J'étais subjugué, ne la quittais pas des yeux. Le pinceau, aux soies engluées de gouache rouge, dérapa lentement sur la toile, déborda l'esquisse du soleil, effaça l'ébauche au crayon d'une hutte de verre. Le païen s'échauffait en moi. Mes vœux de chasteté s'effritaient comme un château de sable lentement dépecé par la marée montante.
Pour moi, elle devint Serpentine. A l'image de ce qui courrait sur sa peau.
Le ruban épidermique bleu, d'une nuance proche de celle de l'océan, naissait au creux du coup de pied droit, remontait en courbe gracieuse sous la malléole externe, barrait en diagonale le Tendon d'Achille, filait le long de la crête tibiale, évitait le genou, s'enroulait autour de la cuisse en spirale envoûtante, se hissait sur le galbe rebondi d'une fesse et finissait sa trajectoire au creux des reins en une explosion de ramifications lapis-lazuli. Fins tentacules épidermiques, comme autant de petits bourgeons annonciateurs des arborescences futures, que j'imaginais flirtant au creux des hanches, grimpants comme lierre le long de la colonne vertébrale ou se lovant sur l'arrondi d'une épaule.
Comme tant d'autres rencontrées sur d'autres mondes, j'aurais pu désirer lui faire perdre sa virginité, les reins collés contre un baril de kérosène au pied du Grand Cargo, ses pupilles fixées sur les antennes-radar du poste de pilotage.
Il en fut autrement. Sable était un monde doux, calme et bienheureux. J'avais besoin de paradis...
«Viens ! Viens, tu vas m'emmener là où je n'irai jamais. Montre-moi l'eau !» Sa voix comme du miel, toute en rondeurs et sensualité.
Cette phrase sibylline n'eut sa réponse que loin du village, au creux d'une dune. A l'abri des regards, je commis le pêché de chair.
Le ruban bleu sous l'assaut de mes caresses, sous le don des siennes, s'élargissait, enveloppait tout son corps d'une rapide marée d'écume. Sa peau se recouvrait de toutes les nuances des bleus et des verts propres à l'océan. Elle reproduisait sur son épiderme, sous les vagues de son plaisir, les images aléatoires qu'elle puisait dans mon esprit. Sa peau se métamorphosait lentement en morphings fantomatiques sans cesse renouvelés. Des esquifs apparurent, balancés de vifs déhanchements.
Jonques en voilure rouge ancrées près du récif de la Crête Iliaque Gauche.
Sampans gréés en goélette tirant des bords sur ses flancs inclinés.
Voiles latines réduites de ketchs à la dérive au creux de la Fourchette Sternale et du Nombril.
Clippers élancés et rapides, virant de bord à l'approche d'un iceberg mammaire.
Caboteurs naviguant de port en port près des Côtes Flottantes, à l'ancrage à la Pointe du Sternum, contournant l'Ile de la Rotule, frôlant l'Archipel du Métacarpe.
Skippers de course, toutes voiles dehors, slalomant entre les nombreux îlots, en long chapelet rectiligne, de l'Archipel des Apophyses Epineuses.
Pirogues hawaïennes, dressées dans l'eau, cherchant à franchir la barre écumeuse des Clavicules.
Bateaux à roues empêtrés dans les algues de la Mer des Sargasses.
Il serait vain de créer ici un catalogue de ces métaphores cutanées. Elles apparaissaient quelquefois isolées. Images rapides et fuyantes dont je ne percevais pas la signification ; ébauches indécises rapidement évanouies. Ou créations complètes lentement élaborées et persistantes.
Mais, lorsque tout son corps se brouilla entièrement d'un kaléidoscope hallucinant de couleurs, d'un maelström de traits et de courbes multicolores, je savais ce qui s'opérait en elle.
Je faisais l'amour à la mer. Mes doigts effleuraient des crêtes de vagues minuscules. Mes mains caressaient la houle courrant sur ses flancs, le flux et le reflux sur ses hanches, le ressac de sa respiration.
L'océan épidermique se retira en marée descendante. Les nuances bleutées et vertes regagnèrent le serpent de sa peau. Les esquifs disparurent pour être aussitôt remplacés par des tatouages mobiles de la faune et de la flore aquatiques. Extraordinaire abondance de formes et de couleurs.
Anémones de mer à la chevelure mouvante sous les courants,
Poisson clown en habits de cirque,
Poissons-anges à la robe noire rayée de jaune,
Poissons-néon en tenue de soirée bleue électrique et rouge,
Raies ondulant sur sa peau comme des crêpes de la Chandeleur.
Et, peu avant ce qui allait me laminer, les images épidermiques mouvantes qui s'épanouissaient au creux de ses reins, sur l'arche de ses hanches, sur la courbe de son ventre gagnaient mon corps, quittaient le sien. Elles se transmettaient en ondes diffuses et vagues, caressaient ma peau de douces tentacules chaudes et irisées, délimitaient des territoires de fièvre polychrome enveloppant mon corps et mon âme. Les créations gagnèrent mon corps en rangs serrés.
Bancs de poissons-papillons en pyjamas à rayures verticales jaunes, noires et blanches se terrant, effrayés sous mes aisselles.
Troupeaux de poissons volants, filant vers mes oreilles, apparaissant et disparaissant en longs pointillés rectilignes.
Myriades de poissons tropicaux multicolores gagnant l'abri de ma chevelure.
Les images sur ma peau refluèrent vers la sienne.
Seul subsista, au-dessus de son pubis, un poisson-sable (hybride symbole de nos deux mondes) se délitant, perdant peu à peu toute structure sous l'assaut des courants de l'océan et le pouvoir érosif des vents de Sable. |
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