L’histoire :
Du post-cyberpunk/biopunk.
Ici, on pratique le bidouillage génétique dans des locaux pourris… Les "créatures" qui émergent de ces bidouillages finissent par devenir autonomes, terrifiantes, souvent imprévisibles. On les appelle "les fées" mais elles n’en ont que le nom. Elles vont investir un endroit connu de tout le monde et qui n’est autre que … Disneyland Paris ! Ce territoire, qui fut le symbole d’une société ultra-consommatrice, formatée et estampillée "Troupeau aveugle" est désormais à l’abandon (symbole des conséquences d’une consommation aveugle ?) .
Les "fées" ont aujourd’hui le pouvoir de transformer ceux-là mêmes qui les ont créées. De proies, lorsqu’elles n’étaient que "poupées" manipulées sans vergogne par des humains décadents, elles sont devenues prédatrices et il y a de quoi frémir.
Nous sommes à l’ère du fembot, le « roBOT » à l’échelle FEMto. Le fembot en aérosol pulvérisé sous votre nez peut jouer avec votre cerveau, le formater malgré vous et vous transformer en ce qu’il plaira à ceux qui vous font pulvériser cette joyeuseté dessus ou qui vous font toucher/embrasser par d’autres qui sont déjà contaminés car le fembot peut vous atteindre par cette voie aussi.
Au thème des nanotechnologies (dans ce cas plutôt des "femtotechnologies" ), vient se greffer celui des réalités virtuelles qui trouvera un aboutissement inattendu dans une approche de l’immortalité proprement époustouflante.
Mon avis :
On étouffe. Le malaise est profond.
Dans ce monde, l’anxiété latente de n’avoir plus tout à fait l’intégrité de sa pensée, d’avoir été contaminé par des fembots est omniprésente.… On peut les respirer, on ne les voit pas, quoi de pire ?
Quelle ambiance ! Quelle richesse dans les idées !
Oui, le malaise est partout et tout est fait pour que le lecteur le sente même le style y contribue ! Confus quand il se veut confus ! Clair quand il se veut clair ! Dans beaucoup de cas, l’explication vient après coup. Juste le temps de laisser le lecteur se vautrer dans un abîme de perplexité avant d’enfin consentir à l’éclairer..
Le futur dont il est question semble déjà aux portes de notre présent. Plusieurs détails incorporent en effet des éléments de notre présent dans ce futur rendant encore plus réaliste l’imminence d’une catastrophe.
Les descriptions sont souvent percutantes.
Ici, le coucher de soleil n’a rien de romantique, il est "couleur de viscères" alors que la poésie est là où on ne l’attend pas : "Le blindé semble s’être accroupi sous une rangée de lumières qui s’arc-boutent en travers de la route et le noir satiné de son échine semble boire la lumière".
A Paris, au Jardin des Plantes, quand vient l’heure pour les SDF de se préparer à la nuit, les télévisions installées avec des moyens de fortune retransmettent les images du débarquement des premiers humains sur Mars : "Le papillotement rouge de Mars transforme le jardin en un champ de Supernovas" alors qu’ailleurs, "… les clochards tournent mollement la tête …leurs visages blafards rougis par les lueurs de la planète". L’aventure sur Mars est si lointaine quand on a le nez dans la fange de la Terre malade...
Et puis, bien sûr, le réchauffement climatique est significatif dans ce futur proche.. A Londres, où débute l’histoire, on apprend que "c’est la mousson" et "la Tamise coule bas dans son lit, gluante comme une méduse, entre ses berges boueuses et puantes".. La ville…sa puanteur, sa chaleur, ses moustiques… Le décor est vite et bien planté.
Les personnages sont intéressants, jamais attachants ou très peu, à l’exception peut-être de cette infirmière qui cherche à retrouver un enfant dans ce monde chaotique qu’est devenu le monde occidental. Les autres sont des " ni-gentils/ni-méchants", des durs parfois, des "qui n’ont pas eu le choix". Tous sont des écorchés. Ils portent en eux le désespoir de leur époque. Ils tentent de survivre. Ils se croisent, s’aident quand leurs intérêts concordent, se perdent …
Quel livre ! Nom d’un chien ! Quel livre !
Féerie a obtenu en 1995 le Prix Arthur C. Clarke Award du meilleur roman de SF.