Tel est le point de départ de « Le Chevalier », roman de Fantasy de Gene
Wolfe
. Un instant, les ingrédients font craindre le pire. Un chevalier, une quête, un monde médiéval, des dragons, des géants et des ogres ; difficile de renouveler un champ littéraire avec un tel passif.L’ami Gene se passe-t-il donc la corde autour du cou ? C’est mal le connaître. Effectivement, passée quelques pages l’alchimie opère. Sous la plume de l’auteur états-unien, la transmutation, de ce qui pourrait être un banal récit d’aventures de plus, en une quête (au sens véritablement chevaleresque) est réalisée pleinement.
Néanmoins, attention ! Quelques précautions s’imposent avant de poursuivre.
La narration de Gene
Wolfe
est pleine de trous laissés à dessein. Le procédé qui a déjà été utilisé par l’auteur dans la saga de Latro (« Soldat des brumes » et « Soldat d’Aretê ». Dans ces deux romans, Latro oublie irrémédiablement la nuit ce qu’il a vécu le jour, ce qui le conduit à écrire quotidiennement les aventures qu’il vit et impressions qu’il ressent), intrigue autant qu’il peut énerver. Les ellipses sont nombreuses, les raccourcis foisonnent et ça digresse à tout va. Pourtant, le charme agit et le récit se pare d’un aspect onirique qui n’est pas déplaisant pour qui ne cherche pas à comprendre absolument tout. D’autant plus, que GeneWolfe
prend un plaisir malin à brouiller davantage les pistes en introduisant le récit à la manière d’un journal (avec un index des noms de personne, de race et de lieu) raconté par un narrateur qui se souvient difficilement de ses actions passées incroyables en Mythgarthr et les relate pour son frère qui se trouve à la fois en Amérique et en Mythgarthr. Suivez-vous encore ?Ceci étant précisé, attaquons-nous au récit.
« Le chevalier » est, comme précédemment annoncé une quête. Roman d’apprentissage au sens premier du terme en conséquence, et non succession de combats épiques éreintants.
Au commencement, un jeune américain se réveille dans un monde qui lui est étranger. Au lieu d’être désorienté, à l’instar de n’importe quel quidam élevé dans une civilisation d’abondance, il s’adapte à ce monde et à ses habitants. Grande trouvaille que ce monde d’ailleurs dont Gene
Wolfe
nous distille par touches successives l’organisation (imaginez une série de couches superposées habitées par des populations différentes et respectant des règles spécifiques). En fait, Able tel qu’il se présente en Mythgarthr, est un chevalier au plus profond de son être. Anachronique dans son propre univers mais évoluant comme un poisson dans l’eau en Mythgarthr. Able est surtout un adolescent dont les goûts le portent vers les prouesses romantiques, la courtoisie naïve et qui a beaucoup à apprendre. Ses premières rencontres ne tardent pas à déterminer son destin : il sera chevalier, le meilleur si possible. A lui d’adopter la conduite irréprochable correspondant à son idéal. Tout à tour poignant, humoristique, mystérieux, « Le chevalier » déconstruit l’heroic fantasy pour en utiliser les éléments d’une manière subtile et exigeante. GeneWolfe
ressuscite l’art du conte en l’édulcorant de son aspect édifiant car, paradoxalement au cours de son périple, Able apprend autant d’autrui que les autres apprennent à son contact. Cependant, peut-être le paradoxe n’est-il qu’apparent…Able rencontre les êtres magiques ou non qui peuplent Mythgarthr et les autres mondes, car il jouit du don de se déplacer d’un territoire à l’autre. Il promet beaucoup et se trouve confronté à ses promesses contradictoires.
Bref, ce roman magique, difficilement résumable à son histoire, constitue le premier volet d’un diptyque dont j’attends désormais le dénouement avec une curiosité que je maîtrise difficilement.
Aparté : Le roman de Gene
Wolfe
est dédié à Yves Meynard, auteur de « Le Livre des chevaliers ».Disponible en français aux éditions ALIRE
http://www.alire.com/Romans/LivreChevaliers.html