Gaiman
, paru en France.Un recueil d’une grande diversité, puisqu’on y trouve une short-short de 200 mots, géniale variation sur le Père Noël (dont je ne vous donnerai pas le titre pour ne pas vous en spoiler la lecture), quelques poèmes, une introduction avec une nouvelle dedans, et bien sûr… des nouvelles !
Pour être tout à fait honnête, je dois bien reconnaitre que je trouve
Gaiman
meilleur dans la prose que dans les vers, mais il faut aussi reconnaitre que la poésie est autrement plus ardue à traduire que la prose : métrique, rimes, assonances… Autant de choses qui peuvent disparaitre à la traduction, malgré l’excellent travail de Patrick Marcel. Mais bon, quand il n’y a pas d’équivalents sonores français…Commençons par une impression générale.
Gaiman
est un grand lecteur. Du Dorian Gray d’Oscar Wilde, aux Chevaliers de la table ronde en passant par les contes, il s’approprie tout pour mieux le remettre à sa sauce.« Mrs Whitaker trouva le Saint-Graal ; il gisait sous un manteau de fourure. » Ainsi commence sa fantasy arthurienne… dans un magasin Oxfam !
Fantasy là encore, avec Le troll sous le pont. Si le troll est un personnage de fantasy, nous sommes plus ici dans une horreur glaçante et sobre, à la Lisa Tuttle ou à la Dennis Etchison, qui aurait pu figurer en excellente place dans les Territoires de l’inquiétude. Là encore, en prenant un mythe éculé, il le transcende pour en faire quelque chose d’absolument merveilleux.
Les amateurs de Lovecraft ne seront pas déçus avec La Spéciale des Shoggoths à l'ancienne. Un texte dont les qualités et les défauts rappellent parfois les romans de Barker, notamment Sacrements : la narration y est brillante, voire excellente mais la fin tombe un peu à plat. Son art de confronter un Texan puritain s’abstenant d’alcool à des piliers de pubs dans un improbable village portuaire britannique est excellente. Le déroulement de l’intrigue, les clins d’œil aux Grands anciens, le décalage entre les personnages, tout est excellent. Mais le soufflé tombe avec une fin assez banale.
Autre point dans lequel
Gaiman
excelle : l’adolescence.Comme chez King, il sait y mettre ce qu’il faut d’empathie et de sensibilité pour ne pas tomber dans la caricature ou l’outrance de l’ado mal dans sa peau déjà lu, relu et rerelu jusqu’à l’épuisement. Une vie, meublée en Moorcock première manière est un véritable bijou, où il est finalement peu question d’Elric, et beaucoup de l’adolescent s’éveillant à la littérature avec Moorcock et son prince albinos. Paru dans une antho hommage à Moorcock, celui-ci a dit à
Gaiman
que c’était l’un de ses textes préférés avec celui de Tad Williams. Mais que celui de Williams l’emportait parce qu’il y avait Hendrix. Il est vrai qu’aux yeux de Moorcock, rien ni personne ne peut rivaliser avec le gaucher à la Strato !Empathie, sensibilité à la King, mais aussi mélancolie et nostalgie à la Bradbury.
Gaiman
sait aussi jouer sur ces sentiments délicats, même quand il se met lui-même en scène. Ainsi, dans Le Bassin aux poissons et autres contes, on a l’impression de suivre les péripéties hollywoodiennes d’un écrivain dont le roman doit être adapté au ciné. Jusqu’à ce que le scénario qu’on lui a demandé d’en tirer finisse par ne plus ressembler à rien. L’histoire pourrait passer pour banale, maisGaiman
sait jouer sur les personnages pour détourner son intrigue, et parler avec le vieil employé d’un hôtel des stars oubliées du cinéma muet.Gaiman
assure que c’est une de ses nouvelles préférées, et il est impossible de lui donner tort, tant ce texte est absolument magnifique. Autre texte dans la même veine, absolument dépourvu de fantastique mais néanmoins excellent, La souris. Ici, c’est le génial Raymond Carver qui est évoqué. Quand on parle de nouvelles, évoquer Carver, c’est un peu comme d’évoquer Baudelaire quand on parle de poésie avec zomver, Dick quand on parle sf avec Morca ou Led Zep quand on parle rock avec Lacroute. C’est peu dire qu’on marche sur des œufs, et que la barre est vraiment, mais alors vraiment très, très haute. Mais fort de son talent,Gaiman
la franchit haut la main, sans la moindre difficulté. C’est un texte faussement simple, qui transcende par l’art et ses émotions la banalité du quotidien.Ici ou là, on trouvera quelques textes un peu faibles. Il y a aussi deux textes dans lesquels je ne suis pas vraiment entré, mais cela est avant tout personnel.
Les Mystères du meurtre est une enquête originale d’un humain aux côtés de Lucifer, pour élucider la mort d’un ange. Je dois bien avouer que les whodunit, malgré le talent des auteurs (David Peace par exemple), m’ennuient, et que je n’arrive absolument pas à entrer dedans. Même chose pour les vampires : Neige, verre et pommes est assurément un excellent texte. Mais les vampires et moi, à part Matheson, Brite et Romero, je n’accroche vraiment pas.
Par contre, l’ironie glaçante de Mignons à croquer, petit conte philosophique, pour ne pas dire éthique, est un pur chef-d’œuvre.
Au final,
Gaiman
signe un recueil d’excellente facture, qui devrait enthousiasmer tout amateur de nouvelles. Fantasy, horreur, fantastique et un peu de sf, chacun pourra y trouver son compte. A moins de ne lire que du space-op en x volumes à la Peter F. Hamilton, il est difficile de ne pas trouver son compte dans ce merveilleux grimoire.BD, nouvelles, romans… Pour adultes ou pour la jeunesse…
Gaiman
est un véritable Midas de l’écriture : tout ce dont il s’empare se transforme en or.---
Cette critique est dédiée à la mémoire de Terry Pratchett, et à toutes les personnes qui partageaient, partagent et partageront ses combats pour l’euthanasie et la survie des orang-outangs.