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Olivier

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02/09/2004
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Promenades au bord du gouffre

Alain Dorémieux


Promenades au bord du gouffre
Illustration : Stéphane Dumont
Première parution : 3ème trimestre 1978

 Pour la présente édition :

Editeur : Denoël
Collection : Présence du futur
Date de parution : 3ème trimestre 1978

La critique du livre
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Pour la plupart, Dorémieux reste un inconnu ou peu s’en faut, ce qui est fort dommage.
Pour les vieux briscards, Dorémieux évoquera immanquablement une poignée d'anthologies mémorables, chez Denoël et surtout Casterman. A d’autres, au premier rang desquels les collectionneurs, son nom reste bien sûr indissociable de la première revue Fiction, qui fit de lui l'un de ces obscurs pygmalions de la sf en France. Pour les lecteurs attentifs des pages de titres, il sera le traducteur d'une bonne partie des romans de Dick.
Enfin, pour une infime poignée d'érudits et de curieux, de cette espèce si rare que sont les amateurs de nouvelles, il est aussi un auteur, aussi rare que précieux. Ce recueil en est la parfaite illustration, celle d’un auteur arrivé à pleine maturité après de longues années de silence.
Il aura fallu le courage et l’opiniâtreté d’Andrevon, qui lui doit tant, pour que Dorémieux sorte enfin d’une décennie de silence, avec ces Promenades au bord du gouffre presque toutes inédites. A l'exception de 3 textes parus antérieurement dans Fiction (3 nouvelles sur les 10, 30 pages sur 245). Bref, à moins d'être un collectionneur frénétique, ce recueil sera totalement inédit pour les collectionneurs de Fiction.

James White n'a pas le monopole de l'hôpital. Andrevon & Cousin y avaient consacré leur meilleur recueil à 4 mains (un vrai bijou, que vous auriez tort de louper), et Daniel Walther y a également trouvé l'inspiration d'un recueil lors de sa meilleure période, celle de NéO.
Chez Dorémieux, l'hôpital est différent. Point d'infirmières plantureuses, ni de chirurgiens chez qui la folie le dispute au sadisme. Nous sommes au contraire dans la peau d'un homme qui se réveille amnésique dans une étrange chambre d'hôpital dont il ne peut point sortir. La porte est fermée de l’extérieur, et seuls les soignants peuvent entrer et sortir, et il n’y a pas de fenêtre. C’est donc allongé dans une pièce aveugle que le protagoniste va essayer de fouiller dans sa mémoire afin d’y retrouver ce qui lui manque, à commencer par son nom. Quête d'identité, amnésie, claustration, impuissance et révolte vaine, autant de thèmes que l'on retrouvera ici ou là sous la plume de l'auteur (notamment dans l’excellente dystopie Pour toujours à l'intérieur du Cube in. Couloirs sans issue). Une agréable mise en bouche, sous forme de cauchemar dickien, où les réalités ne s'annulent que pour mieux recommencer, encore et toujours, entre claustration et prostration.
Vient ensuite Prisonnier des femmes insectes, une dystopie érotique. Souvent chez Dorémieux, l'érotisme est complexe voire douloureux, source d'angoisse, d'oppression, ou bien révélation d'une vérité avant-dernière. Ici, c’est un peu tout cela à la fois, et la femme insecte se révèlera plus proche de la mante que de la libellule.
Seul en haut de la bientôt tour prête à crouler a tout d'un titre ballardien. Et le lecteur ne saurait s'y tromper. On y retrouve en effet une approche contemplative de la catastrophe. Quelle catastrophe ? A vrai dire, la question est secondaire, pour ne pas dire totalement anecdotique. Elle ouvre surtout la voie à la contemplation du monde d’après, qui s’esquissent tandis que l’homme ne semble guère destiné à survivre à l’effondrement prochain de son habitat. Comme chez Ballard, la fin de l’humanité n’est rien, et surtout pas la fin de tout.
Vient ensuite Les bêtes est une short-short admirable. L'auteur se coule avec délice dans la peau d'une jeune enfant, pour nous offrir l’approche innocente d'une réalité atroce, dont le lecteur, lui, n'est jamais dupe. Court, percutant et jouissif, ce texte est une véritable petite merveille, une petite pilule d'horreur comme les aimait tant Dorémieux.
Rencontre du quatrième type est un agréable retour sur un passé révolu, celui des communautés baba cools partis élever des chèvres ici ou là. En fait de communauté, c'est d'avantage une cohabitation de raison entre un alcoolique (démon intime de l'auteur) et une femme plutôt paumée, qui cohabitent tant bien que mal, ne sachant où aller. Et devinez qui iront visiter nos chers ET ? Non, ils n'iront pas en ville, mais en pleine cambrousse, chez nos babas cools échoués sur le bord de l'utopie. Quant à la rencontre, le traducteur de Martiens, go home ! sait admirablement jouer sur les ressorts du comique, pour revisiter à sa façon la visite d'ET presque anthropoïdes, à un détail prêt, mais quel détail !
Quel cataclysme ? J'aime le choix de la question pour un texte court (10 pages). Un homme revient en train de vacances de l'étranger, et apprend à la frontière que son train est le dernier à retourner chez la mère patrie. L'auteur joue à merveille sur les ressorts de l'angoisse, et je vous laisse bien le loisir de découvrir la réponse à la question, entre atrocité et despotisme. Mais sachez que quand il parle d'horreur, Dorémieux n'est pas tendre !
Ce puits de velours sans fond est une réécriture de fond en comble de la fameuse Vana. La vana, ce fameux anthropoïde qui ressemble tant à une femme, l’intelligence en moins. Nous passons de l'érotisme finalement classique d'un texte empreint de l'âge d'or aux ardeurs de la New wave. Le texte gagne ici en profondeur, et n'est pas sans rappeler Les monades urbaines. Le sexe et l'amour deviennent une double transgression qui aboutit finalement à une remise en cause radicale de la société existante. L'homme n'est finalement pas fait pour les moules étriqués de l'utopie.
Cauchemar rose est une intéressante variation dickienne, sur fond d'érotisme là encore. Une équipe est envoyée sur une planète désertique afin de comprendre pourquoi les deux scientifiques laissés sur place ne répondent plus. La réponse se trouve bien sur la planète, et nous rappelle que la vie peut parfois offrir une altérité radicale.
Vient ensuite la novella, L'oiseau qui prend son vol. Je dois bien avouer que rarement un texte m’avait touché à ce point. Il est absolument impossible de ne pas songer au meilleur Sturgeon (on doit d’ailleurs à Dorémieux deux anthologies de Sturgeon, et non des moindres, excusez du peu). C’est avec une finesse remarquable qu’il fusionne la question de l’adolescence (en l’occurrence de l’adolescente) avec celle de la rencontre-chrysalide de l’autre. Sur un sujet particulièrement casse-gueule et abondant en clichés, il se hisse sans aucune peine au niveau de J. D. Salinger et des meilleurs récits sur ces troubles de l’adolescence, auxquels il ne manque pas d’ajouter sa propre patte, celle d’un imaginaire sensuel, tour à tour doux et torturé. Difficile d’en dire plus, car ce texte faussement simple (très sturgeonien vous dis-je) est de ceux qui inspirent d’avantage un silence admiratif et méditatif qu’une logorrhée. Auteur comme anthologiste, le thème de l’adolescence restera prégnant chez Dorémieux : que l’on se souvienne de cette si particulière nouvelle lycanthrope des Territoires de l’inquiétude où l’humour remplace la profondeur psychologique.

Loin d'être un simple pasticheur, Dorémieux arrive à mieux se couler dans les formes pour y injecter son propre fond, et rendre un hommage implosif aux grands auteurs, à l’instar d’un Daniel Walther et sa réécriture picaresque L’odyssée à la sauce post-apo et new wave. Auteur polymorphe, tour à tour contemplatif ou percutant, horrifique ou sensible, raffiné jusque dans la perversité, il cisèle ses fantasmes et ses obsessions en autant de nouvelles, et nous offre une bien belle palette d’émotions.
A le lire, on ne peut que comprendre la présence récurrente d’auteurs comme Lisa Tuttle ou Steve Rasnic Tem. Sans les devancer, on sent chez eux une certaine fibre commune, un certain goût pour un fantastique (voire chez Dorémieux une sf) qui reste ancré dans le présent, à la lisière de la littérature générale, aux ambiances marquées et aux personnages ciselés avec une redoutable ambivalence.
Auteur et pygmalion, il est plus que temps de redécouvrir Dorémieux sous ses nombreuses facettes, l’écrivain n’étant pas la moindre d’entre elles. Espérons (vainement) que l’édition saura y pourvoir un jour, qui sait ?




Un étrange hôpital où des médecins fous condamnent un patient-prisonnier à subir d'absurdes traitements... Des cataclysmes sournois qui ont transformé la Terre en paysages figés où s'enlise un dérisoire survivant... Une adolescente au supercerveau et au psychisme en déroute qui s'enfonce dans l'abîme d'un désespoir autodestructeur... Des femmes-bêtes faites pour l'amour, des femmes-insectes faites pour la mort, des femmes-fantasmes pour le rêve et le cauchemar, une femme d'ailleurs à l'impensable différence morphologique... Autant de plongées dans des univers à la dérive, autant de chutes dans le gouffre flou des réalités piégées.
Avec ce recueil de dix nouvelles dont la quasi-totalité est inédite, Alain Dorémieux, personnalité importante de la science-fiction française, fait une rentrée littéraire longuement attendue.


L'auteur
Né en 1933. Toute une carrière sous le signe de la SF. Rédacteur en chef de la revue Fiction de 1958 à 1974. Directeur littéraire des éditions Opta jusqu'en 1969. Actuellement directeur de la collection « Autres temps, autres mondes » chez Casterman. Nouvelliste (des dizaines de récits dans Fiction et un recueil, Mondes interdits, en 1967). Anthologiste. Critique. Traducteur. Projet : se remettre (enfin) à écrire. Le présent livre en constitue la première étape.


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