Lucrèce
Après l'excellent Espace, qui était en fait le deuxième tome du cycle des univers multiples de Stephen
Baxter
, je me suis naturellement attaqué au premier, Temps, en espérant vraiment qu'il se révèle aussi délicieux que ce dernier. Alors, verdict : fade, aussi bon, ou même supplanteur de son successeur?Et bien, il est clair que Temps se dévore de la même façon et dans le même esprit qu'Espace, on retrouve à nouveau l'incroyable capacité de
Baxter
à nous embarquer dès les premières lignes dans son trip rocambolesque à dimension universelle. On est également confronté au même personnage principal déjà présent dans Espace : Reid Malenfant, astronaute remercié par la NASA, mais opiniâtre face à son vieux rêve de conquête en voie d'être brisé, reflet et écho transparent de l'auteur lui même. Reid Malenfant souhaite ainsi à tout prix gambader vers les astéroïdes, les exploiter et les coloniser sur le long terme, persuadé que la solution pour dépêtrer l'humanité du marasme dans lequel elle s'enlise jour après jour se situe là-bas. Réunissant des fonds privés, employant des méthodes « cheaps » à la soviétique et par d'autres économies de bout de chandelle, il réussit à mettre au point la première fusée habitée allant plus loin que personne encore auparavant. Mais contacté par un allumé notoire œuvrant pour des prédications liées à l'eschatologie, avertissant que l'extinction de l'humanité aura lieu d'ici deux siècles, qu'il nomme la catastrophe de Carter, Reid se voit convaincre de modifier la destination de son jouet prêt à décoller. Tout bascule alors. Le nouvel objectif abrite une étrange porte bleu à la stargate, et pendant ce temps des flopées d'enfants surdoués naissent, tatoués d'un énigmatique anneau azuré, et semblent œuvré pour une cause commune mais incompréhensible.Si l'on s'arrête à ces quelques éléments, il est vrai que le scénario peut sembler, sinon alambiqué, au moins tiré par cheveux. Mais oui, il l'est. Et ce n'est rien comparé à l'avalanche de folles idées sorties tout droit tantôt de la Science, tantôt de la Fiction, dénichées par
Baxter
pour venir égayer cette abracadabrante épopée stellaire. Des céphalopodes intelligents en voie d'extinction sur un caillou égaré vous feront sans doute verser une larme ; la ribambelle d'univers morts-nés que vont traverser les héros est indissociable d'une prise de conscience de notre frivolité abyssale ; ou encore plus simplement l'hypothèse singulière qui va se révéler complètement au dernier chapitre sur laquelleBaxter
a filé l'ensemble de son roman et peut chambouler radicalement la perception de notre rapport au monde, sans pour autant y croire une seule seconde. On constate que le même mot clé ressort de cette armada mirifique mais ô combien envoutante : Le Vertige. Oui, comme dans Espace, il se love dans chaque paysage cosmogonique, nous fait chanceler en face de ce vide haletant, obscur, pétri d'une matière absurde, aux distances ubuesques, qu'on nomme l'univers. Ce n'est plus l'exploration de la faune céleste et de ses possibles qui nous émeut, mais la découverte de l'insondable, le voyage aux confins de réalités hostiles, aux lois physiques impropres à l'atome, à la vie, à l'Homme. Espace possédait la problématique de notre négligence par rapport aux autres espèces pensantes, Temps possède celle d'un univers qui nous nie, qui ne semble pas vouloir de nous dans ses heurts incessants. La perspective engagée par l'auteur s'avère donc plus sombre. L'Homme est seul et semble être consacré par un bug, une coïncidence malheureuse des lois physiques s'agitant à leur propre dessein. Une douloureuse lucidité qui se réveille d'autant plus que ce dernier a pu entrapercevoir, grâce aux artefacts bleutés, ses éventuels lointains descendants à la toute fin de son univers, quand il n'y aura plus assez d'énergie pour ne serait-ce que laisser un atome stable et quand même la poussière d'étoiles aura disparu, quand en fin de compte, le néant primordial souhaitera recouvrer sa demeure. AlorsBaxter
va faire s'ébrouer la bête, Malenfant va tenter de comprendre et de dépasser cette condition pour redonner espoir à l'humanité, et à travers des pirouettes temporelles, des paradoxes causaux, par la transcendance de ses compagnons et de lui même, ils vont nous apporter une fin sublime, dans toute les acceptions du terme. Épatante, et c'est ici que, si nous avions perdu en exotisme fantasmagorique par rapport à Espace, Temps rattrape d'un instant son retard. Le dépasse t-il? En un certain sens, peut être bien. Il n'est peut être pas toujours autant exaltant, affriolant par ses liqueurs d'outre-humains, mais il apporte un sens, là où Espace ne le donnait que par la pérennité qu'il offrait à l'Homme.Bien sûr, tout cela constitue l'œuvre, mais elle n'est pas forcément intéressante si on s'en tient à ce point précis, car
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ne fouille jamais ni n'étale ses réflexions philosophiques ou de quelques natures que celles-ci soient. Elle est avant tout divertissement et découverte, par l'incroyable recul qu'elle nous inocule, laissant place à un frissonnant vertige, enchanteur et qui a le mérite, et c'est en partie en cela que la distance angoissante est convaincante, de nous offrir des pistes de réflexions pertinentes.En définitive, c'est donc une expérience sensible, qui n'est en aucun cas entachée par les défauts que l'on pourrait reprocher à
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: Des personnages plats, sans reliefs et avec des caractères aux frontières plus que limitrophes.... Mais à nouveau, ceux ci sont employés comme intermédiaires au spectacle insignifiant qui s'offre devant eux. C'est avec des yeux en somme neutres que l'on pourra se fondre le plus aisément au creux de cette vision de Déicides. Une écriture également en moyenne peu remarquable, mais qu'importe,Baxter
, c'est le monde des idées et des situations qui en résultent, et sa plume demeure limpide et conserve tout de même de nombreux passages lyriques pour les satisfaire pleinement.Alors, oui, si vous aimez vous allongez devant un mur étoilé en vous imaginant tomber, Temps et Espace, et peut être en général
Baxter
, vous rendront la chute magnifique.« Mais la plupart des cosmos qu'ils découvraient étaient vides, y compris de la lumière maladive de la création ou de la destruction. »