DELANY
reste une figure de proue de la new wave. Il fut d'ailleurs le premier auteur à avoir raflé le Nebula deux fois de suite, pour ses deux chef-d'œuvres que sont "Babel 17" et "L'intersection Einstein". Il s'est ensuite plus ou moins détourné de la sf pour embrasser une carrière universitaire, tout en publiant des ouvrages mêlant la violence et une sexualité extrême, dont "Hogg" est la meilleure illustration.C'est donc peu dire que cette critique s'adresse à des lecteurs avertis.
"Hogg" est narré par un personnage dont on connaît vaguement le physique, âgé d'une dizaine d'années, mais dont on ne sait rien de plus. Ni son nom, ni ses attitudes, ni rien d'autre : il existe par ce qu'il fait aux autres et par ce que les autres lui font. Il nous raconte l'histoire d'un personnage monstrueux et immonde, Hogg. Dégueulasse, il ne se lave pas, urine et défèque sans même ôter son pantalon qu'il porte depuis des lustres, j'en passe et des meilleurs, comme ses vers. Il semble vivre de l'argent que lui verse un riche personnage contre des actions sordides, à savoir violer et torturer des femmes de la plus horrible façon, sans les tuer. Hogg va donc trimbaler notre narrateur, qu'il appelle Suceur de queues, dans une errance faite de sang, de pisse, de merde, de crasse et de sperme. Seul ou avec d'autres personnages d'un aussi répugnant pedigree, Hogg et son Suceur vont -si l'on ose dire- s'envoyer en l'air, violer et torturer tout au long du livre, où les scènes de coprophagie alternent avec d'autres joyeusetés tout aussi sordides, dans un Sud des Etats-Unis peuplé de racistes, d'incestueux, aussi illettrés que pervers, ne s'exprimant que par grossièretés, dans un langage rustre et parfois incertain. Autant dire que ce Sud là n'a rien à envier à celui d'un Barry GIFFORD ("La ballade de Marble Lesson") ou de Jim THOMPSON ("1275 âmes"). Cependant, aussi curieux que cela puisse paraître, "Hogg" est une histoire d'amour, celle de Hogg et de son Suceur de queue, où petit à petit, la perversion se transmue en anormalité, tandis que le vice se sublime en dépravation. Certes, il s'agit là bel et bien d'un amour hors-norme, sordide et abject dans ses manifestations, mais il n'en demeure pas moins que les sentiments qui unissent peu à peu nos deux protagonistes sont clairement amoureux. Amour hors norme et donc d'autant plus fascinant qu'il est porté par une écriture maîtrisée, et souvent remarquable. S'il écrit une œuvre résolument et terriblement trash, qui mettra d'ailleurs près de 20 ans avant d'être éditée,
DELANY
le fait avec l'excellence qu'on lui connaît, ce qui lui vaut d'ailleurs les salutations de Norman MAILER ou de Bruce BENDERSON.Le lecteur aura un peu l'impression de se retrouver avec "Orange mécanique" dont la présente version aurait été rendue gore par SADE puis revue par un GENET sous amphétamines : c'est peu dire qu'à coté "American psycho" d'ELLIS fait franchement office d'une mièvrerie digne du pire Walt DISNEY, ou que le terrible "Enfer clos" de Claude ECKEN ressemble à une bluette gorgée d'eau de rose, façon Barbara CARTLAND. Ce livre s'adresse donc à un public restreint, il ne reste donc plus qu'à espérer qu'il le trouve. Toutefois, il ne contient à proprement parler aucun élément science-fictif, et rien ne permet non plus de le rattacher au fantastique, à la fantasy ou aux transfictions. Œuvre littéraire éprouvante mais fascinante, "Hogg" est un livre extrême, par l'histoire bien sûr, mais aussi par la qualité et le soin de son écriture. Poème pervers et vénéneux, il fait partie de ces lectures dont on ne peut absolument pas sortir indemne, mais pour lesquelles on éprouve une satisfaction : celle d'avoir lu un livre bien écrit, qui évite l'écueil de la gratuité et du putassier.
Enfin, quiconque voudrait découvrir l'oeuvre strictement SF de
DELANY
ne saurait même feuilleter cet ouvrage. "Babel 17", par son intelligence et ses qualités littéraires est hautement recommandable, dans l'espoir d'une vraie réédition de l'oeuvre deDELANY
."Hogg" est une part intégrante et majeure de l'oeuvre de