Egan
lisible dans sa (presque) totalité sans diplôme préalable de maths ou de physique et (presque) sans aspirine ! Vraiment,Egan
est un auteur que je trouve passionnant, même (surtout ?) quand je ne suis pas d'accord avec les thèses qu'il (me) donne l'impression de soutenir, et que je n'aime pas ses personnages.Ce que je trouve passionnant, c'est cette réflexion qu'il développe d'un roman à l'autre sur la façon dont les avancées scientifiques actuelles non seulement vont nous changer la vie, mais vont également influer sur notre façon de concevoir "la vie, l'univers et le reste". Je suis fascinée par les questions qu'il pose, et très admirative pour la manière qu'il a d'en faire l'armature de romans qui tiennent la route. Je suis enfin passionnée par l'un des thèmes qui sous-tendent ce roman, à savoir la distance entre réalité et vérité (se superposent-elles ? A quelles conditions ? Si c'est possible, est-ce souhaitable ? etc). Et de là découle une interrogation (à peine effleurée dans le roman) sur l'altérité et la connaissance de l'autre.
Quelle est la proportion de compréhension réelle par rapport à une illusion de compréhension ? L'intimité est-elle une forme de connaissance, ou n'est-elle qu'une croyance rassurante mais erronée ? L'évolution ne se soucie pas de savoir si nous appréhendons ou non la vérité, sauf au sens le plus pragmatique. Si le cerveau a besoin de nous donner une impression exagérée de notre capacité à nous connaître mutuellement - de rendre la formation de couples compatible avec la conscience de soi -, il mentira effrontément, autant qu'il le faudra, pour que cette stratégie réussisse.
Ce qui me dérange, c'est son évident a priori matérialiste : un personnage central qui vise à se comporter comme un robot (dans Isolation), ça va, le deuxième tend à m'agacer.
La science et la technologie semblaient lui avoir donné tout ce qu'ille pouvait désirer : un moyen d'échapper au champ de bataille empoisonné de la sexualité, un mouvement politique qui valait la peine qu'on se batte pour lui et même une quasi-religion...
Ca en devient amusant, car dans ce roman où est présentée de façon négative et/ou burlesque une galerie de croyances globalement nommées "Sectes Ignorantes", son matérialisme en ferait presque le tenant d'une autre secte. Presque car s'il frôle ce travers il parvient cependant à n'y point tomber tout-à-fait, par une sorte de tour de force perpétuel très étonnant.
Enfin,
Egan
peut être férocement drôle dans la critique. Sa satire d'un certain féminisme m'a beaucoup amusée : Si la science est arrogante, portée à la démesure, dominatrice, réductionniste, profiteuse, spirituellement appauvrie et déshumanisante, comment pourrait-elle être autre chose que masculine ? fait-il dire à l'une de ses personnages les plus déplaisants.Sa peinture des habitants de l'île d'Anarchia, tout en m'évoquant les Anarrestis(1) et les habitants de Précipice(2), m'a laissée sur ma faim.
Il y a un personnage qui disparaît complètement sans explications en milieu de roman, après y être apparu sans explication convaincante...
Quelques maladresses donc, mais ne vous y trompez pas : c'est un excellent roman, qui fait réfléchir, et qu'il faut lire.
(1) Les Dépossédés - Ursula Le Guin
(2) Sur l'onde de choc - John Brunner