« Le grand constructeur Trurl conçut un jour une machine qui savait faire tout ce qui commençait par la lettre n. Afin de la mettre à l’épreuve, il lui demanda lorsqu’elle fut prête de confectionner des nattes, de les nouer avec du nylon – qu’elles mêmes venait de fabriquer – puis de jeter le tout dans une niche entourée de nappes, de navettes et de nacre. La machine exécuta ces ordres à la lettre. Cependant, n’étant point encore tout à fait assuré de son bon fonctionnement, il lui ordonna de produire tour à tour des nimbes, des nefs, des nacelles, des neutrons, des nez, des nymphes et du natrium. Mais elle ne sut guère exécuter la dernière de ce tâches, et Trurl, fort contrarié, lui demanda des explications.
« J’ignore ce qu’est le natrium, répondit la machine, je n’en ai jamais entendu parler.
- Allons bon ! Mais c’est du sodium, voyons ! Un métal, un élément chimique…
- Du sodium, dis-tu ? La première lettre est donc un s ; tu oublies que je puis seu
lem
ent fabriquer ce qui commence par un n.- Peut-être, mais en latin cela s’appelle natrium
- Mon pauvre ami, déclara la machine, si je savais faire tout ce qui commence par n dans tous les idiomes du monde, je serais une Machine Qui Sait Tout Faire Depuis A Jusqu’à Z, car le nom de n’importe quel objet doit certainement commencer par un n dans une langue ou une autre… »
L’histoire :
Trurl et Clapaucius sont deux constructeurs célèbres pour leur savoir, leur imagination et…leurs gaffes. Ce roman pourrait s’intituler « les pérégrinations de Trurl et Clapaucius, cybernéticiens de métier, chercheurs de gloire et de défis, et briseurs de sociétés et de mondes à l’occasion. »
Impossible de décrire ce recueils d’aventures des deux compères, car ils sont capables de tout et de n’importe quoi sur n’importe quel monde.
Le programme est le suivant :
- Comment le monde échappa à la ruine
- La machine de Trurl
- La grande rossée
- Les sept croisades de Trurl et Clapaucius :
* Première croisade ou le piège de Gargancien
* Croisade n°1 bis ou l’électrouvère de Trurl
* Seconde croisade ou l’offre du roi féotien
* Troisième croisade ou le dragon des probabiltés
* Quatrième croisade ou comment Trurl recourut au feminotron dans le but de délivrer le prince Pantarctique des tourments de l’amour et comment l’on en vint subséquemment à faire usage du lance-mômes
* Cinquième croisade ou les tours du roi Jambonnier
* Croisade n°5 bis ou la consultation de Trurl
* Sixième croisade ou comment Trurl et Clapaucius conçurent un démon de seconde espèce afin de terrasser l’infâme Grandgueulier
* Septième croisade ou comment la perfection de Trurl fut à la source de bien des maux
- Histoire des trois machines à raconter du roi Genialan
- L’atruizine ou l’histoire véridique de l’ermite Bonnas lequel voulut faire le bonheur de l’univers et ce qui s’ensuit
Les titres des différentes histoires en donnent un aperçu.
Ce roman est jubilatoire par son humour pince sans rire de
Lem
, qui rm'a parfois fait penser à l’humour des Monty Pythons lorsqu’ils font du subtil.J’ai laissé quelques extraits, notamment celui de l’électrotrouvère dont la mission était de composer « un poème qui traite de l’amour et de la mort ; mais tout cela doit être exprimé dans le langage des mathématiques supérieures, et plus particulièrement de l’algèbres et des senseurs. » pour donner le ton.
Un grand coup de chapeau au traducteur.
Je recommande ce roman à tous les gens tristes ;)
Extraits :
« C’est pourquoi lorsqu’il était dans d’humeur mélancolique, il faisait défiler devant lui les régiments qui chantaient en chœur : « Allons enfant de la batterie ! qu‘une huile impure abreuve bien nos gonds » »
« Mais il se tut, en même temps que Clapaucius, car l’électrotrouvère s’était pris à déclamer :
Ainsi, toujours poussé vers d’autres extrema,
Le cybernéticien intégrait, attristé,
Maints unimodulaires en ce beau soir d’été,
Lui qui rêvait d’amour et de nouveaux climats
Fuyez, fuyez au loin, éternels Laplaciens,
Adieu, vecteurs, et vous, vaines opération !
Je m’en vais rechercher, en bon théoricien,
Du cœur la dérivée, de l’amour la fonction !
Ne pourrai-je jamais, dessus mes blanches pages,
Changer ces vibrations d’un compas plein d’ardeur,
En gerbes rotatoires, en fiers retro-couplages,
Au bord du court-circuit, oubliant ma pudeur ?
Ô transfinale classe ! Ô grandeur altière !
Sacré système, et toi, continuum immortel !
Je donnerai tout Stokes et puis tout Christoffel
Pour de l’amour trouver la dérivée première !
Révèle à l’égaré du chanel Théorème
Les gouffres composés des espaces scalaires,
Ô sainte Cybériade aux doux attraits binaires,
Montre lui ses gradients semblables à des diadèmes !
Tous ces purs passeront, ils passeront en foule,
Dans l’espace de Weyl, l’espace de Brouwer,
Sur les courbes d’argent, sur les rubans où roule
Lé flot topologique par Moebius ouvert !
Aimons donc, aimons donc, des magnétiques ondes
Hâtons nous, jouissons, des divins paramètres
Pressentons les subtils fantomatiques êtres
Et noyons nous dans l’ombre des nanosecondes !
Tel un point intégrant le système holonôme,
Par l’asymptote enfin, il se voit désarmé,
En cette projection ultime, ouvrant les paumes,
Le cybernéticien meurt, d’amour consummé ! »