Mais il y a pourtant Joëlle
Wintrebert
, auteur remarquable s'il en est.Pour preuve, ces « Olympiades truquées ». Là où le Pelot de « La guerre olympique » fait mouche en dénonçant l'opium sportif, Joëlle
Wintrebert
va beaucoup plus loin.Son roman est incroyablement dense, et évoque de nombreux problèmes plus ou moins périphériques, dont le dopage et la génétique.
Nous sommes dans un XXIe siècle bien avancé. La génétique a donc avancé à pas de géants.
On peut sans problème choisir le sexe de son enfant. Cela a rapidement posé problème, puisqu'on se retrouve avec deux tiers de garçons. Le changement de sexe est totalement maîtrisé, on peut donc devenir femme sans problème. Mais cela ne résout pas pour autant le problème démographique. Les viols ont bien sûr explosé, bien qu'ils soient très sévèrement réprimé. Les violeurs, comme tous les déviants, à commencer par les enfants un tant soit peu rebelles, sont redressés dans des centres prévus à cet effet (oui, nous sommes bien au XXIe siècle, celui qui a rouvert ces centres fermés au XXe siècle).
Le clonage est lui aussi largement mieux maîtrisé qu'aujourd'hui. Bien que solidement encadré, les exceptions et les trafics pullulent, sous le regard indifférent voire bienveillant d'autorités parfois complices.
Les olympiades sont LE grand moment. Celui où l'on oublie ses nombreux problèmes, pour communier dans les exploits des héros nationaux.
Ces héros sont d'ailleurs génétiquement sélectionnés, et enlevés à leurs parents dès le plus jeune âge pour être élevés dans des centres prévus à cet effet. L'Europe a donc rejoint la Chine en la matière, mais c'est de la sf, bien sûr...
Nous allons donc suivre le destin parallèles de deux jeunes filles.
Deux éclairages différents sur un futur d'autant plus effrayant qu'il est terriblement crédible. Les différences avec notre époque restent essentiellement technologiques, le zeitgeist étant sensiblement le même qu'aujourd'hui.
Les olympiades truquées nous narre le destin parallèle de deux jeunes filles.
D'un coté, Sphyrène, nageuse virtuose (mais pas bébé sélectionné) dont le seul but devra être la gloire de la patrie. Sa vie est loin d'être un roman à l'eau de rose. Violée par son frère, elle ne veut pas le dénoncer, de peur de lui faire endurer le terrible châtiment réservé aux violeurs. Son autre frère lui, se travestit ! Elle n'ose pas en parler à son père, qui ne l'accepterait pas. Mieux que cela, ce dernier se féminise, à tel point que des seins lui poussent. Personne ne peut expliquer le pourquoi du comment de ce phénomène. Sphyrène est entraînée par des gens sans scrupule (sommes-nous encore en SF ?). En effet, la découverte d'une nouvelle substance promet des lendemains qui chantent. Peu importe que cette substance ait des incidences catastrophiques sur la santé, pourvu que l'on ait la performance (là c'est sûr, nous ne sommes PLUS en SF). Bien sûr, l'opacité la plus absolue est gardée sur cet aspect (on croirait qu'il s'agit des incidents nucléaires en France) peu reluisant mais indispensable aux exploits sportifs. La course n'est donc plus à la performance sportive, mais à la performance dopante. Car comment gagner sans se doper, quand les autres le sont ?
De l'autre coté, on a Maël, jeune clone de sa défunte mère. En effet, son père a perdu sa femme dans un accident de voiture. Comme il est à l'origine des découvertes sur le clonage, on ne peut lui refuser cette petite entorse au contrôle du clonage. Plutôt mal dans sa peau (on le serait à bien moins !), Maël a tôt fait de se retrouver en Ceres (Centre de réinsertion sociale). Elle préfère d'ailleurs parler de CRS. C'est là que les déviants et autres rebelles sont rééduqués. Maël n'a qu'une envie : celle de tout faire péter. Victime malgré elle d'une société inhumaine, elle estime avoir une revanche à prendre. Elle va donc s'enfuir, et tenter de survivre. D'abord strip-teaseuse, elle va ensuite rejoindre les anarchistes du GRAAL. Ce n'est que chez eux qu'elle trouvera l'humanité que la société a perdu. Bien décidés à saboter
Le roman se construit donc en chapitres soigneusement cloisonnés. Tous s'ouvrent sur une publicité, ce pilier de l'aliénation. On alterne entre Sphyrène et Maël, ou parfois leurs proches. Avec parfois avec quelques courts chapitres, effrayantes vignettes des aspects particulièrement inquiétants de ce futur qui déchante.
La construction peut paraître un peu artificielle, car les héroïnes se croiseront finalement bien tard.
Mais cela ne m'a pas dérangé du tout, car le coeur du roman reste ce terrible futur, si proche et si crédible. Ach, zeitgeist...
Les personnages, principaux comme secondaires, sont tous remarquablement brossés, comme toujours chez Joëlle.
Premier roman de l'auteur, on y trouve pas mal de ses grands thèmes. Du statut de la femme à l'anarchisme, il ouvre la porte vers l'oeuvre d'une des grandes dames de la sf. D'un grand écrivain, tout simplement.
Je tiens également à tirer mon chapeau à Roland Wagner, qui signe une passionnante postface (que l'on peut lire en cliquant ici sur le mulot.
Le mot de la fin pour Reiser :