Curval
opte le plus souvent pour le texte à chute, avec cette fameuse dernière phrase si chère à Matheson et Brown. A ceci prêt que la plupart des textes font une trentaine de pages. Exercice surprenant donc, assurément périlleux, mais que l’auteur -roublard en diable- réussit le plus souvent à merveille.Autant le dire tout net cependant : Philippe
Curval
reste PhilippeCurval
. Autrement dit, ceux qui restent hermétiques à son œuvre le resteront une fois de plus avec ce recueil. Quant aux autres, ils y verront une pierre de choix, finement ciselée, à ajouter à l’édifice de leur admiration pour un auteur qui vieillit aussi bien que le bon vinLa plupart des textes ont été écrits lors de voyages de l’auteur, ce qui explique en large partie cette impression de décalage du protagoniste avec la réalité dans laquelle il vit. Mais rien de dickien cependant. Nous sommes plus dans le champ de l’amnésie, comme dans Portrait sans visage. Un homme se réveille dans un hôtel, au lendemain de ce qui pourrait être une beuverie. Sauf qu’il n’a aucun souvenir de cette éventuelle beuverie. Il ne sait même pas pourquoi il est là, dans quel pays il se trouve, ni même comment il s’appelle ! Il va tenter de grappiller des renseignements comme il peut, en regardant son passeport, puis en interrogeant sa guide. Et quelle n’est pas son angoisse de savoir qu’il est là pour donner une conférence. Conférence dont il a perdu le texte, et dont il ignore jusqu’au sujet… Au-delà du doute et de l’enquête,
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instille avec grand art une inquiétante étrangeté, das unheimliche freudienne. Le résultat, fort concluant, est un texte aussi subtil qu’angoissant. L’amnésie encore, dans La Vie est courte, la nature hostile, et l'homme ridicule, où un homme se réveille sur une plage, comme dans l’un des magnus opuscurval
ien, L’homme à rebours. Le sable est fin, l’eau est bonne, mais la chaleur devient vite accablante. Comment, pourquoi notre homme se retrouve-t-il ici ? Mystère là encore, subtilement traité sous l’angle poétique ballardien, entre La plage ultime et Vermilion sands. L’étranger peut aussi être l’autre, cet homme étrange qui fascine un jeune paumé qui erre sans but dans sa cité déshéritée, où il n’a pas plus d’avenir que n’importe qui, à part la débine. Une interrogation sur l’une des clés de l’étrangeté : l’identité, qui est aussi la seule anticipation du recueil.On trouve aussi un texte aux accents lovecraftien, où un chasseur de trésor va se retrouver happé par l’étrange objet qu’il recherche (Sal Rei). Loin d’être un simple pastiche comme on en a trop lu, on y retrouve aussi le thème
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ien par excellence du retour dans le ventre maternel.Les extra-terrestres non plus ne sont pas en reste. Qu’ils servent à mettre en lumière la noirceur de l’âme humaine (Barre/Watis) ou qu’ils essaient de nous comprendre, avec de drôles de résultats (Le sourire du chauve). Drôle justement, car il y a aussi de l’humour.
Ainsi dans Ovni soit qui mal y pense, dont le titre est déjà tout un clin d’œil et tout un programme. Des extra-terrestres vont faire appel à un vieux bureaucrate chinois, à qui ils vont demander d’exercer ses talents de dictateur sur une lointaine planète, afin de la développer en donnant aux habitants les coups de pied au cul dont ils ont besoin. L’humour est bien noir, avec une chute imparable et drôle, un peu à la Disch (sa short-short Utopie ? Impossible !). Humour également, mais hommage aussi, et à la littérature (et donc à la SF) dans Canard du doute. Une étrange maladie à prions, le diésel, vous encrasse l’organisme. Face à cela, un seul remède : la lecture ! Exercice périlleux dans ce monde où la culture a disparu, ainsi donc que la littérature. Ce grand malade qu’est le Dick de Substance mort pourrait-il devenir un médicament ? Un récit hommage goguenard et flegmatique, avec une fin magnifique.
C’est un fait,
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, n’est pas un auteur de fantasy. Il en profite donc pour se livrer à une réécriture post-apo et un brin sadienne de Blanche-neige, sodomisée par un seul nain dans Blanche-neige et un seul nain. Mais aussi un texte qui l’aventure sur les terres antiques et mythologiques de Thomas Burnett Swan : Dédale en pente douce. La Crête, ravagée par les immondices touristiques, va se venger en faisant appel à ses anciens mythes : la chute est au bout du fil d’Ariane.Au final, nous avons 11 textes le plus souvent de très grande qualité. Seul Barre/Watis m’a laissé un peu froid. Les autres, oscillant entre le fantastique angoissant de Matheson, les troubles kafkaïens voire la sf pure et dure sont tout simplement excellents. Rasta solitude est un excellent cru de