Œuvre sulfureuse longtemps épuisée, "Rêve de fer" est enfin de retour dans nos bacs, et en poche. Reste donc à savoir si c'est une bonne chose.
La présentation est étrange, car il s'agit d'un des rares livres à avoir deux pages de titre.
En effet, si la première annonce "Rêve de fer" de Norman
Spinrad
, la seconde annonce "Le seigneur du Svastika" [1] d'un certain Adolf HITLER. Suit ensuite une bibliographie de l'auteur et une présentation de ce livre culte, longtemps épuisé, malgré son Hugo décroché en 1954. Cette réédition est en outre agrémentée de la postface d'un universitaire new-yorkais.La notice biographique liminaire nous apprend qu'Adolf HITLER, a quitté l'Europe pour les USA au lendemain de la Première guerre mondiale, après avoir fricoté avec un mouvement politique aux idées plutôt nauséabondes. Il s'installe alors à Greenwich Village (le quartier bohème de New York), et commence dans l'illustration, avant de se lancer dans l'écriture en donnant à la sf plusieurs œuvres majeures, telles que "La race des maîtres", "L'empire de mille ans", "Le triomphe de la volonté" ou encore "Demain, le monde".
Cependant, son œuvre majeure, publiée de façon posthume reste ce fameux roman intitulé "Le seigneur du Svastika", son seul ouvrage primé d'un Hugo, et loué aussi bien par FARMER que par MOORCOCK.
Feric Jaggar est un Purhomme bodybuildé exilé en Borgravie chez les mutants et les métis qui dominent le monde, d'où leur nom de Dominateurs, ou Doms. Feric souhaite retourner dans sa patrie, la Grande République de Heldon, où tout n'est que pureté génétique, des arbres de ses luxuriantes forêts à ses rares ressortissants. Son père, ancien homme politique, a été exilé en Borgravie suite aux accords de paix du Traité de Karmak, qui ont fait de lui un criminel. Seuls les Purhommes, c'est à dire les hommes au patrimoine génétique absolument pur peuvent en devenir les citoyens, et passer définitivement la frontière pour fuir la domination décadente d'une humanité mutante et métissée, qui a pris le pouvoir partout ailleurs après la Grande Guerre.
Feric pénètre dans la taverne du Nid d'aigle (!), où Bogel du Parti de la Renaissance Humaine harangue les quelques badauds présents. Séduit par le discours, Feric décide d'adhérer au parti, pour mieux le prendre en main.
La suite, vous la connaissez : élu, il saborde le parlement, s'appuie sur l'une de ses deux milices pour éradiquer l'autre, et embrigade la population. Il assure la pureté raciale de la population par la castration volontaire ou l'exil de tous les êtres génétiquement impurs. Une fois maître de Heldon, il renforce et modernise l'armée, puis se lance dans une guerre particulièrement sanglante, pour conquérir des espaces vitaux, non sans y éradiquer les mutants et les Doms, en les massacrant lors des batailles, et en parquant les survivants dans des camps aux barbelés électrifiés. Avant de s'en débarrasser, par compassion (car il ne sert à rien de les maintenir en vie en attendant leur mort naturelle) et sans souffrance, à l'aide d'un gaz rendant leur mort indolore. La guerre devient alors totale, l'objectif étant de dominer le monde, pour pouvoir le remodeler à sa guise.
Je vous laisse découvrir la fin, absolument sublime dans le second degré et d'ironie particulièrement jouissive.
Puis vient enfin le morceau du chef, la fameuse postface, où un universitaire qui apparaît comme assez versé en psychiatrie et en psychanalise vous décortique le roman, et donne ainsi un éclairage sur ce roman, qui n'est jamais qu'une simple commande commerciale.
Les quelques renseignements uchroniques distillés ça et là ne manqueront pas de régaler l'amateur de SF.
S'il s'agit incontestablement d'une grosse, d'une énorme farce, elle n'est pas du goût de tout le monde. L'Allemagne a en effet peu apprécié qu'un auteur juif se glisse dans la peau de son plus célèbre chef d'Etat, puisque le livre y a toujours été censuré. Ce que l'on ne peut que déplorer, et ce que
SPINRAD
est le premier à faire. Réjouissons nous donc de la réédition -authentique- de cette œuvre atypique et mythique, après de si longues années d'absence, et saluons donc l'excellente initiative de folio SF, qui se place de plus en plus comme la collection phare de la sf en poche, avec pour nouvelle preuve cette indispensable réédition. Si "Rêve de fer" n'est pas le chef-d'œuvre deSPINRAD
, il demeure un livre important tant dans son œuvre que dans la sf, et ce serait vraiment dommage de passer à coté, maintenant qu'il est à nouveau disponible. Loin des uchronies sur la seconde guerre mondiale, cette habile variation satirique sur HITLER et une certaine période de l'imaginaire (l'amibe lovecraftienne est particulièrement brillante) est un régal, une sorte de pendant bouffon à de grandes œuvres, telles que "Le maître du haut-château" ou "La séparation" ou "Les îles du soleil". Amis allemands, apprenez le français ou l'anglais, vous ne le regretterez pas ![1] Pour celles et ceux qui l'ignorent, la Svastika est à la base un symbole religieux, que l'on appelle aussi la croix gammée. Elle symbolise la vie, et a été dévoyée comme chacun le sait par l'un des pires régimes criminels de l'Histoire.