_Dis moi,Ione, cet hiver froid qui n'en finit pas de mourir ne te donne t'il pas des envies de soleil..? Cà te dirait un petit séjour sur les plages de sable rouge de "Vermilion Sands"..? Quelques jours à ne rien faire, à flemmarder, à se dorer la pilule..? Attends j'ai le guide en mains..! Je cite: "Etrange station balnéaire, on y écoute les fleurs musicales et les sculptures chantantes. Les poètes se servent de machines à poésie, les peintres de pigments grâce auxquels le tableau apparaît tout seul sur la toile, on habite des maisons que l'on façonne mentalement et les habitants portent des vêtements en textiles vivants.." Qué t'en pense..? Hein..? Tout çà m'a l'air bien tentant après 5 mois de froidures hivernales..! T'as l'avatar tout palot, il lui manque des couleurs..! Allez va..! Sors donc de dessous ta couette, décolles-toi du poêle, nous partons en
Ballard
ie..!Ione :
_Cher Lacroute, ça c'est une idée ! D'accord, ça me tente bien. Mais, je n'y resterai pas longtemps, je te préviens tout de suite. Juste le temps d'admirer les paysages et les nuages, de voir les raies des sables, d'entendre les fleurs chanter et les sculptures musicales mais c'est tout, après je m'en vais vite, car ce monde me fait peur sous ses apparences de douceur vieillotte.
Pour tout t'avouer, je n'ai pas réussi à terminer la lecture du "guide" de cette station balnéaire...
Lacroute
_Oh la..! Je sens de la réticence dans l'air..! Ione, t'as du flair..! Je t'ai caché volontairement la toute fin du quatrième de couverture..! Elle mentionne en toutes petites italiques de rien du tout: "Vermilion Sands: quelque part entre Miami et la Grande Motte. On y mène une vie de vacances permanentes où tout est possible, où chacun va jusqu'au bout de ses désirs. Le paradis ? Oui mais.." Et à mon avis tout est dans le "oui mais"..! Comme une promesse de décors truqués ?
Ione
_En effet... et voici mes impressions :
Je n’ai pu m’empêcher de comparer Vermilion Sands aux Chroniques Martiennes. D’une part à cause de sa construction faite de nouvelles ayant pour décors un paysage onirique et d’autre part, en raison de l’atmosphère étrange qui s’en dégage retraçant un monde unique, comme en équilibre fragile, au bord de l’effritement. J’ai rarement eu l’occasion d’être à ce point happée par les visions d’un auteur qui par la magie de ses mots plonge le lecteur dans son univers si étrange.
On bascule imperceptiblement dans l’irréel, hypnotisé par la prose poétique de
Ballard
et l’on se retrouve soudain face au sable vitrifié de Vermilion Sands, à lever le nez pour admirer les sculpteurs de nuages, à tendre l’oreille pour percevoir le chant des fleurs et des cristaux et à paresser langoureusement à une table de café tandis que de belles égéries fantomatiques explorent les mondes de leur esprit malade.Lacroute :
_Et si tout ce que tu me décris était une volonté délibérée de
Ballard
qui, sans le dire franchement, a voulu son monde, soit-disant onirique, très très très proche d'une réalité oisive, d'une Dolce Vita décadente, d'un monde dans lequel rien d'autre ne compte que le luxe, l'inutile, le superflu.. Délibérément très loin d'une autre réalité, plus dure..! Comme un contraste qui nous fait encore plus haïr les héros et surtout les héroïnes à la psychologie ruinée..!Ione :
_Bien sûr que c'est une volonté délibérée de
Ballard
de dépeindre un monde en décrépitude, mais je trouve que ses figures féminines sont extrêmement dérangeantes et je dirais même qu'il nous offre là une allégorie de la mort... je le répète, je trouve ça trop étouffant, je n'arrive pas à le finir...Lacroute :
_Parlons donc des figures féminines..! Dans chaque nouvelle le "Je" male est de rigueur..! Et dans les propos du narrateur: je ne ressens aucun véritable désir, ni même amour, pour les personnes du sexe opposé..! Presque pas de tendresse..! La seule et unique motivation: s'offrir une célébrité en vogue, voire une ex-star, comme un scalp de plus, même et surtout si l'homme sait que sa cible est névrosée, capable de tout, du meurtre y compris..! Le "Je" ne se laisse pas charmer par le charisme de la personne qu'il a en face de lui, mais par ce qu'elle était avant, comme si son passé avait en lui un parfum charnel qui l'attire.. Il tombe à peine amoureux. Il y va du bout des doigts, avec regret, parce qu'il le faut bien, parce que sinon que resterait t'il comme charme à ce monde..? Les rares scènes pendant lesquelles le charnel s'anime (attention nous sommes pendant les prudes 60's) n'ont qu'un goût plastique, purement esthétique, faire l'amour comme au bout de l'ennui, sans envie, sans attente de l'autre, comme une obligation conceptuelle dans le ghetto doré de Vermilion Sands..
Ballard
semble avoir banni volontairement les vrais sentiments..!Ione :
_Absolument. Si je reprends l’idée que la femme est l’Allégorie de la mort dans Vermilion Sands, alors l’amour est une petite mort. Un suicide volontaire vers lequel tend l’homme. D’ailleurs, dans Vermilion Sands la femme tue l’homme, ou l’a déjà tué (pistolet), l’étouffe (avec les vêtements), le rend dingue (celle qui a tué sa belle-mère et dont le mari se venge en l’enfermant dans les lieux du crime). Bref, tel que nous le dépeint
Ballard
, l’amour est destructeur, sans espoir.Vermilion Sands me fait penser à un tableau de maître, où l’on découvre, sous la beauté esthétique, les traces d’une décrépitude annoncée (le ver dans la pomme).
Lacroute :
_Ou plus exactement, derrière le vernis d'un décor de rêve qui commence à se craqueler, un autre tableau au couleurs sombres, un avant-goût des ténèbres qui attendent..!
Ione :
_Toi qui connais mieux
Ballard
que moi, est-ce que l’on retrouve ça dans les autres bouquins ou est-ce caractéristique à Vermilion Sands ?Lacroute :
_Je n'ai pas aimé "Crash"..! Il offre des scènes de sexualité que je juge difficiles..! Mais ce n’est que mon humble avis.. !
Ione :
_Crois-tu que cette « décomposition » soit rattachée à la femme, l’amour, ou plus largement à la vie en elle-même ?
Lacroute :
_A la vie elle-même..! On dirait que JGB s'acharne à donner de belles couleurs à une vie qui ne mérite pas l'arc-en-ciel merveilleux de sa prose..! Il sait jouer d'un contraste saisissant entre le décor et l'âme..! Dans Vermilion Sands il met du désespoir dans la mort lente d'un monde mou, à l'inverse de Simak qui place ses espoirs dans la mort d'un monde dur..!
Dis donc, Ione, tu crois qu'on va pas se faire taper sur les doigts en mettant en ligne une telle double chronique..! Vermilion Sands nous a offert une des plus belles proses de la SF: légère, aérienne, très poétique et, en couleurs complémentaires, une thématique noire, très pessimiste, sans rêve..! Le blanc et le noir: la vérité est à chercher au centre..! Qu'est qu'on fait, Ione, on "valide" ou pas..?
Ione :
_Attends, avant de valider, je voulais citer un petit extrait car je trouve tout de même que l'écriture de
Ballard
est vraiment magique."Hier au soir, quand l'air du crépuscule venu de Lagon Ouest a gagné le désert, j'ai de nouveau entendu des fragments de musique porté par les chants d'amour de Lunora. Traversant le sable cuivré, je me suis rendu jusqu'aux récifs où poussent les sculptures soniques et là, dans l'obscurité, j'ai parcouru les jardins métalliques à la recherche de la voix de Lunora. Aujourd'hui, plus personne ne s'occupe des sculptures, et la plupart ont fini par germer, mais obéissant à une impulsion subite, j'ai coupé une hélice et l'ai rapportée jusqu'à ma villa pour la planter au milieu du parterre de quartz, juste sous le balcon. Toute la nuit, elle a chanté pour moi, évoquant Lunora et la musique étrange qu'elle ne composait que pour elle."
Ainsi donc, je reste largement partagée entre la magnifique poésie qu'il nous offre, l'évocation de paysages superbes, et la morbidité malsaine qui se dégage de tout ceci. Malheureusement, c'est ce sentiment qui l'emporte dans mon appréciation...
Et pour toi, au final, quel sentiment prédomine à la lecture de Vermilion Sands ?
Lacroute
_ A la réflexion, je me demande si
Ballard
, en hôte sarcastique, ne nous convie pas délibérément, dès l'entrée dans Vermilion Sands Park, à un cocktail de bienvenue, tous alcools dehors, toutes couleurs étalées..!J'imagine l'auteur, sourire très largement ironique aux lèvres, nous offrant un bol de punch antillais que l'on croit peu titré en alcool, dont on ne se méfie pas..! Douceâtre, sucré, épicé, presque sirupeux le bougre..! On croit l'avaler impunément, verre après verre, quasiment à la louche, sans effets secondaires..!
Tiens fumes..! Double effet kiss-cool..!
La magnifique prose de l'auteur comme un alcool ensoleillé..! Et derrière, en tapinois, une atmosphère lourde d'orage en attente..! Chaque nouvelle comme un jour qui s'éveille, gorgé de promesses de bonheur et de farniente..! Mais qui insidieusement dévoile les failles et les faiblesses d'un monde grabataire..! Nous laisse amers et perplexes, au gris du crépuscule d'un monde en agonie lente, sur le rivage désert d'une mer en arrière-saison touristique..!
Peut-être faut t'il chercher la magie de ce roman dans ce présent poétique mais fallacieux, vide d'objectif à moyen terme, orphelin de son passé, impuissant à s'enfanter un futur..! Vermilion Sands en fragile équilibre entre un passé sans hier et un avenir sans lendemain..!
Si telles étaient les intentions de
Ballard
: Vermilion Sands est un coup de maitre..!Eh, Ione, dans le doute, si on changeait de destination finalement..! Bradbury SpaceLines annonce un départ demain matin 5 heures, destination Mars..! Depuis le temps que tu en rêves..! Vermilion Sands on se le garde sous la main, qu'en même..! Pour quand ses résidents auront résolus leurs problèmes métaphysiques, quand les filles y seront moins belles, mais plus attirantes, humainement charismatiques..!
Ione :
_Ok mon Lacroute, c'est parti pour Mars ! allons voir les fontaines d'eau irisée et parfumée, allons admirer les yeux d'or des martiens, allons nous imprégner des mystères de la planète rouge. Bouge pas, je vais chercher mon scooter des sables...
Lacroute
_ YEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEES..!