"Ils flanquèrent un pistard aux trousses de Turner, dans les vieilles rues de Delhi, câlé sur ses phéromones et sa couleur de cheveux. Il le rattrapa dans une rue nommée Chandni Chauk et se précipita vers sa BMW de location à travers une forêt de jambes nues et brunes et de pneus de vélos-pousse. En son coeur : un kilo d'hexogène recristallisé et de TNT en pailettes..."
L'histoire :
Turner est mercenaire et spécialisé dans les opérations comme l'exfiltration et il est embauché par un certain Conroy pour débaucher un ingénieur du nom de Mitchell de la tres fameuse société Maas Biolabs, dont l'importance économique prend des dimensions titanesques. Il est prévu que Mitchell s'enfuit de son employeur dans l'Arizona, où l'attend Turner et son équipe.
A Paris, Marly est galeriste, dont la dernière galerie a fait un flop, et se voit confier une mystérieuse mission par le mécène richissime Virek : retrouver l'artiste qui a conçu une des boîtes "poétiques" responsable de sa faillite et qui fascine tant le multimilliardaire.
Bobby, jeune hackeur, un "Wilson", à proximité de New York, teste un nouveau biogiciel, en vue de craquer un système, et manque de se faire cramer le cerveau.
Trois vie, trois lieux sans rapport en apparence, et pourtant...
Crash.
Comte zéro est un roman étonnant non seulement par la narration mais aussi par par son contenu, lesquels y sont intimement liés. Ici, on atterrit en plein dans le milieu des hackers purs et durs. En général, il s'agit des quartiers mal famés, sordides, dont la faune est presqu'exclusivement composées de zonards, de gangs et de laissés-pour-compte.
Contre-culture.
Certaines "sub-cultures" y sont décrites comme si l'auteur avait une presqu'une fascination. Ici le monde des Gothics, par exemple. Dans un background tres vaudou.
D'autres personnages sont présents, plus dans la lignée de nombreux anti-héros chers à
Gibson
tel le mercenaire qu'est Turner dans ce roman. Un rôle de mercenaire qu'on retrouve dans un certain nombre de ses oeuvres : d'apparence froide, efficace, mais qui au fond est profondément humain. Et une flopée de hackers, les uns plus dingues que les autres, à croire que ce milieu n'accouche que de barjots, qui apres 5 ou 10 de service se sont suffisamment cramé les neurones pour enfin profiter d'une bonne retraite à 30-35 ans !Culture.
Non seulement le milieu est si bien détaillé que l'on se sent dans ces quartiers miteux, mais la langue elle-même laisse son empreinte et donne toute sa force à l'action des différents personnages.
Virtuel.
Evidemment virtuel, le cyberspace est dans une large mesure décrit, senti comme un nouveau monde, où l'argent permet de s'y construire un beau paysage pour s'y promener. Ce qui m'a vraiment étonné a été de décrire les IA comme des dieux vaudous, dans la mesure où cette superstition/religion est plus pour moi quelque chose d'irrationnel, et que qu'une IA est pour moi, quelque chose de bien rationnel.
Bref, un roman vraiment étonnant et passionant, mais parfois dont l'intrigue volontairement floue manque de nous crâmer le cerveau. Je me suis vraiment demandé quel était le lien entre ces trois destins jusqu'au bout.
Extraits :
"Enfin, vingt gothiks se pointèrent dans la salle principale, comme un troupeau de bébés dinosaures, avec leur crète de cheveux laqués qui ondulait et se tortillait. La majorité d'entre eux approchait l'idéal gothik : grands, minces, musclés, mais avec une vague touche d'émaciation crispée : de jeune athlètes au premier stade de l'épuisement. La pâleur cadavérique était de obligatoire et le cheveu noir par définition"
" [...] Son truc, vois-tu, c'est de farfouiller partout à la recherche d'une bonne paire d'oungans de la Conurb, des gros calibres. Bobby hocha la tête sans comprendre.
- Des totos qui servent des deux mains.
- Là, j'suis largué.
- On cause de prêtrise professionnelle, là, si tu veux mettre un nom. Sinon, t'as qu'à t'imaginer un duo de totos, des clients serieux - des pirates du clavier, entre autres - qui font leur boulot de servir d'intermédiaire aux gens, de faire les choses pour eux. " Servir des deux mains", c'est une expression à nous, pour dire qu'ils bossent des deux côtés. Blanc et noir, pigé ?"
"Alors il se leva, grincement de la vieille chaîne de balancelle contre la manille dont les boulons à oreilles se vissaient dans l'épaisseur du toit du porche, des boulons que son père avait dû serrer quarante ans plus tôt, et il lui baisait la bouche lorsqu'elle s'ouvrit, détaché du temps par la conversation, les lucioles et les déclencheurs subliminaux de sa mémoire, si bien qu'il lui sembla, tandis que ses paumes remontaient le long de son dos nu et chaud, sous la marinière blanche, que les gens dans sa vie n'étaient plus des perles alignées sur un cordon séquentiel, mais qu'ils étaient regroupés en amas comme des quanta, de sorte qu'il la connaissait aussi bien qu'il avait pu connaître Rudy, ou Allison, ou Conroy, aussi bien que l'adolescente qui était la fille de Mitchell."