"Le messager appuie le front contre les couches de verre, argon et plastique à haute résistance. Il regarde un cuirassé aérien traverser la ville à mi-distance, comme une guêpe en chasse, la mort harnachée sous son thorax dans un conteneur lisse."
L'histoire :
Le pont, entre San Francisco et Oakland. Ce lieu a été abandonné comme moyen de circulation est squatté par les SDF. Des cabanes et des étals de commerce de bric et de broc ont fleuri parmi les câbles du pont. Une population, une faune urbaine s'est installée sur ce lieu de misère, un monde à part.
C'est ici que vit Chevette, recueillie quelques années plus tôt par Skinner, un vieux fou un peu bancal. Chevette qui, pour gagner sa vie, est livreuse à vélo. Un jour, pour une livraison, elle entre par hasard dans une fête organisée par un nanti, se retrouve à voler une paire de lunettes à un homme saoûl qui la draguait.
Le lendemain, l'homme en question est retrouvé mort. La police du coin, ainsi que des enquêteurs privés, dont fait partie Berry Rydell, sont sur la piste de Chevette...
Le décor est planté. Le pont, lieu abandonné, lieu de misère, mais lieu de vie. C'est un autre monde, tout simplement. San Francisco vu par une autre lorgnette est noir, en pleine déchéance. Ambiance.
Lumière virtuelle est le premier volet de la trilogie du Bridge, et pose ses fondations : Chevette, Rydell, Skinner, Yamazaki, et j'en passe... On découvre leur histoire, leurs motivations dans la suite de la trilogie.
Un style inimitable, qui colle parfaitement au monde décrit, est aussi le charme de ce roman.
Gibson
, en 1993, a définitivement apposé sa griffe dans le cyberpunk grâce à ce roman : le monde virtuel n'est pas encore présent, mais il y est sous-jacent. Ici, il nous décrit le monde dans lequel hackers, policiers ripoux et malfrats vont proliférer et s'entre-déchirer dans la suite de la trilogie.A lire de toute urgence, pour les inconditionnels du genre.
Extraits :
"Les rêves du messager sont faits de métal brûlant, d'ombres qui courent dans tous les sens en criant, de montagnes couleur béton. Ils enterrent les orphelins sur un versant de colline. Cercueils en plastique bleu pâle. Nuages dans le ciel. Le prêtre a un chapeau tout en hauteur. Ils ne voient pas le premier obus qui vient des montagnes de béton. Il fait un trou dans tout le paysage: le versant de la colline, le ciel, un cercueil bleu, le visage de la femme."
" Rydell observait Warbaby et le Russe, qui se tenaient à côté de l'une des voitures banalisées les moins subtiles que Rydell eût jamais vues dans sa vie : une baleine gris plomb avec une cage en graphite à expansion pour protéger les phares et le radiateur."
"Ils contemplèrent une paire de maillots entiers dont l'un fait uniquement de circuits imprimés comme ceux que l'on dessinait sur les anciennes cartes électroniques.
- Vous avez des yeux, dit-elle en s'interrompant pour bâiller longuement, on dirait deux trous de pisses dans un tas de neige."