"Le fantôme était le cadeau d'adieu de son père. Un secrétaire vêtu de noir le lui avait apporté dans un salon d'attente de l'aéroport de Narita.
Les deux premières heures de vol vers Londres, elle l'avait oublié au fond de son sac, forme oblongue, lisse et noire; sur une de ses faces, plate, on avait gravé le sigle de la Maas-Neotek; l'autre était légèrement incurvée pour mieux s'insérer au creux de la paume de son utilisateur..."
L'histoire :
Kumiko Yanaka, fille du célèbre Yakusa japonais est envoyée à Londres chez l'énigmatique Swain, qui travaille pour son père qui a, aux dernières nouvelles, des "affaires" à régler au Japon. Elle part avec en poche un curieux boîtier contenant une IA qu'elle seule peut voir.
Dans le chemin de la Solitude, La Ruse, qui habite chez Gentry, dans une zone urbaine miteuse et désertée, reçoit de Kid Afrika, à qui il devait un service, un homme en piteux état, apparemment interfacé avec un boîtier gris, sur une civière dont il doit assurer la sécurité pendant quelques temps. Qui est il ? Comment en est il arrivé là ?
Angela Mitchell, la fille du Dr Mitchell, le concepteur des biopuces de Maas Biolabs, est maintenant devenue l'érégie des films de stim, revient de désintoxication.
La matrice, une ombre plane.
Mona Lisa, prostituée, camée, dont l'admiration pour Angela est à la limite de l'adoration, part de Floride avec son ami Eddie pour un drôle de voyage.
Quatre personnes sans aucun rapport, dans des endroits éloignés, mais dont le destin va les faire se rencontrer plus vite qu'ils ne le pensaient...
Trame.
La trame de ce roman est finalement assez similaire à celle de Comte zéro : un roman à plusieurs voix qui entonnent chacun un chant solo, et qui deviennent dans le dénouement un quatuor, dans un crescendo lent mais vraiment prenant.
L'univers de
Gibson
.Gibson
est fasciné par le Japon, et notamment les termes japonais qu'il sème à travers ce roman, lui donnant sa propre identité asiatique, bien que l'intrigue se déroule en majorité dans la Conurb américaine et Londres.Cette Conurb chère à l'auteur qu'il décrit et nous la fait découvrir dans sa crasse, sa désolation, mais aussi son vivier de neurones, grâce à ces nombreux hackers - les Cowboys- qui pèseront lourdement dans la balance du monde virtuel, et réel.
Mythes et légendes de la cybersphère.
Ici, l'humain peut se transcender dans l'univers virtuel, sa personnae peut être transférée dans des cubes mémoriels accessibles aux vivants. On a franchi la barrière de la machine au service de l'homme où le cyberspace prend son autonomie, ses dieux, son espace propre, ses règles.
On retrouve tous les éléments, à savoir : Legba, déjà présent dans Comte zéro, les dieux vaudous, les interfaces homme-cyberspace, les mondes virtuels...
Le clou de la trilogie.
Si vous n'avez pas lu Neuromancien et Comte zéro, dépéchez vous de les lire, avant celui, car il contient la réponse à beaucoup de questions restées irrésolues dans ces deux précédents opus. Et il faut absolument avoir lu la trilogie en entier avant de pouvoir juger de chacun de ces romans, car c'est un tout, un univers, une vision du futur extraordinaire et effrayante à la fois, parfois si tangible et parfois mystique. C'est l'autre trilogie de
Gibson
à lire (après celle du bridge.Celle ci est plus difficile à lire, non pas brouillonne, non pas floue, mais
Gibson
y a développé un univers tres riche, et le soucis du détail peut perdre le lecteur, parfois au détriment de l'intrigue. CarGibson
ne laisse rien au hasard, chaque phrase y a son sens, pas immédiat sommes toutes, mais chaque mot prend son sens, à la fin.Ce livre seul n'est pas un chef d'oeuvre, mais c'est la trilogie elle-même qui est un chef d'oeuvre du cyberpunk. Exigeant mais extraordinaire.
Extraits :
"Quelque chose l'avait attendue, bien des années plus tôt, sur le Réseau. Rien de semblable aux loa, comme Legba ou les autres, même si, elle le savait, Legba était le Maître des Carrefours, la synthèse, le point cardinal de la magie, de la communication..."
"L'une des assistantes était une fille équipée d'un exo de polycarbone bleu qui lui permettait de transporter ses malles Hermès comme s'il s'agissaitde blocs de polystyrène expansé - l'exosquelette bourdonnant piétinait doucement les marches avec ses grosses pattes de dinosaure. Squelette bleu, cercueils de cuir."
"- Le "jour du Changement"...
- On rencontre en général le mythe sous l'un des ces deux modes : le premier présuppose que la matrice du cyberspace est habitée, ou peut-être visitée, par des entités dont les carctéristiques répondent à celle du mythe primitif du "peuple caché"; le second exige d'admettre l'omniscience, l'omnipotence et le carctère inconnaissable de la matrice elle-même."
"Elle était bien étrange, cette Sally Shears, plus étrange que tout ce Londres de gaijin. Voilà qu'elle contait à Kumiko des histoires, des histoires de gens qui vivaient dans un Japon que Kumiko n'avait jamais connu, des histoires qui cernaient le rôle de son père dans le monde. L'oyabun, ainsi appelait-elle le père de Kumiko."
"Les quatre Jack Draculas étaient blottis comme des corbeaux sur le quai opposé. Ils portaient des impers noirs quelconques et des bottes de combat passées au cirage noir, lacées jusqu'aux genoux."