Matheson
? La question parait moins farfelue qu'elle ne peut peut le sembler de prime abord. En effet, c'est unMatheson
un peu oublié, sous-estimé voire ignoré dont il est question, puisqu'il s'agit ici du nouvelliste. Comme Dick, autre géant de la forme courte, ses romans ont souvent eu tendance à occulter chez lui la nouvelle et, à part Né de l'homme et de la femme (alias Journal d'un monstre), il est peu de titres de nouvelles que l'on cite aussi spontanément que L'homme qui rétrécit ou Je suis une légende. Et pourtant ! L'intégrale des nouvelles deMatheson
recelle une quantité incroyable de chefs-d'oeuvres. Premier tome cette intégrale, Derrière l'écran est dédié comme il se doit à la mémoire du regretté Alain Dorémieux qui fit tant pour la sf, le fantastique, la nouvelle et donc pourMatheson
, auteur majeur de ces trois domaines.Derrière l'écran reprend par ordre chronologique les tous premiers textes de
Matheson
. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, il y a vraiment peu de mauvais textes. Tout juste de l'anodin tel La troisième à partir du soleil ou La guerre des sorcières. Sans qu'ils soient mauvais, ces textes sont simplement sans saveur, et sont d'avantage l'oeuvre d'un honnête tâcheron que celle du génie qu'est (devenu)Matheson
.Premières nouvelles donc et, autre surprise,
Matheson
est bien loin de se limiter au fantastique et l'horreur qui ont fait sa réputation de nouvelliste. Il suffit de lire les quelques pages du bouleversant Frère de la machine par exemple, pour se faire une idée du talent du bonhomme en matière de SF. Si le talent est bien sûr dans la fameuse chute, il est aussi dans l'humanité avec laquelle il écrit sa nouvelle : on se croirait à mi-chemin entre Brown et Sturgeon. Sturgeon justement, pour l'art avec lequel il sait mettre en scène des enfants différents, qu'il s'agisse de la petite orpheline de La robe de soie blanche, à l'horreur particulièrement glaçante ou encore l'effrayante chrisalide du jeune héros de La voix du sang.Autre coup de génie de
Matheson
: en finir avec les horipeaux du gothique, afin d'inscrire l'horreur dans le quotidien le plus trivial : celui de la middle class d'une american way of life en pleine ascension, comme dans L'habit fait l'homme, où l'horreur -intacte 60 ans plus tard- se loge dans le décor délicieusement désuet de l'Amérique des années 50.Mais il n'y a pas que sur le fond qu'il innove : la forme est aussi convoquée, comme dans Derrière l'écran, texte uniquement dialogué sous la forme d'un interrogatoire de police où, là encore, le quotidien de l'american way of life naissante est à nouveau convoqué. Nous allons donc du franchement bon aux premiers chefs-d'oeuvre, à l'exception d'un ou deux textes. Ce serait vraiment dommage de s'en priver, d'autant que les anthos du bonhomme sont épuisées depuis belle lurette !
Tout au plus déplorerons-nous la préface de Stephen King, oeuvre de commande du plus haut inintérêt (King semble n'être un excellent préfacier que pour ses propres recueils de nouvelles, formats dans lesquels il excelle). Préface d'ailleurs invisible sur la couverture, soit dit en passant : allez savoir pourquoi... Avouons qu'en plus de la dédicace mémorielle reprendre, ne serait-ce qu'en postface, l'un des textes que Dorémieux consacra aux Mondes macabres aussi bien qu'aux Miasmes de mort du maître aurait apporté au recueil le petit supplément critique qu'il lui manque.
Las, ce ne sont jamais ici que quelques chicanes. Et concluons donc en saluant le travail de retraduction, qui redonne toute sa vigueur aux débuts d'un génie que l'on voit naitre sous nos yeux, et qui s'épanouira dans les recueils suivants. Retraduction dont aurait bien fait de s'inspirer l'éditeur d'autres intégrales de nouvelles, celle de Chandler et Hammett notamment...
C'est donc sur un coup de maître que s'ouvrait la défunte collection Imagine...