nuit ? » Personne. Il n'y aura plus personne.
Capitale. Quelque-part en Europe, dans un futur indéterminé. Suie et poussières recouvrent tout et empoisonnent une atmosphère dont l'opacité peine sans cesse un peu plus à laisser passer la lumière du soleil, rendant les jours à peine plus lumineux que les nuits, oblitérant le rythme désormais révolu des saisons, à tel point que la froidure règne en maître l'année durant et que les nombreux démunis se retrouvent inlassablement, à la tombée de la nuit pleine, autour de maigres braseros. L'eau, saturée de particules délétères, se fait roussâtre et si rare que les jeux abrutissants diffusés sur le réseau local promettent désormais à leurs vainqueurs de précieux pichets d'eau épurée. La misère est maître d'un monde régenté par une obscurité quasi perpétuelle. Pourquoi ? Parce que sur l'ensemble de la planète les mines de charbon se remettent à fleurir pour compenser l'épuisement des derniers champs pétrolifères. Une multitude d'exploitations et d'industries tournant à plein régime qui depuis de nombreuses années polluent et souillent un environnement qui peine à nourrir ses enfants et qui a vu disparaître une faune désormais clonée à tour de bras pour le travail au cœur des profondes galeries, aux côtés de millions de gueules noires affamées.
Forrest Pennbaker, lui, est porion dans les mines de CorneyGround. Un travail pénible et éreintant, marqué par une chaleur insoutenable et une soif omniprésente, qu'il ne quitte au profit de son appartement miteux que pour retrouver CloseLip, le vieil automate synthétique dont les traits lui rappellent douloureusement Savanna Bay, sa fille, qu'il n'a pas eu la chance de voir grandir. Car Forrest Pennbaker est seul au monde, comme tant d'autres, si l'on excepte ce fantôme qui depuis son enfance le poursuit jusqu'à hanter jour après jour les galeries de CorneyGround. Un être sombre, un cadavre à la puanteur suffocante, aux yeux aussi noirs et profonds que des rivières de sang, et qui emprunte la voix de sa mère défunte pour lui demander, inlassablement, s'il connaît la profondeur des tombes...
Un cauchemar qui va tourner à la folie pure avec la déchéance de CloseLip. Débute alors une cavale sanglante et hallucinée au cœur des vastes territoires de l'U-Zone, secteur de non-droit situé aux confins de CorneyGround, là où pulse depuis quelque temps un étrange soleil, tel un phare incongru échoué au milieu d'un océan d'obscurité. Un fanal qui lui permettra, peut-être, de retrouver Savanna Bay et sa mère Debbie, dusse pour cela le monde s'écrouler autour de lui. A moins, qu'importe, qu'il n'y découvre la profondeur des tombes...
« Je me suis arrêté un instant sur le bord de la vieille nationale, ai sorti CloseLip de sa valise. Puis, prenant son corps inanimé dans mes bras, j'ai escaladé un tertre coiffé d'herbes folles ; je me suis assis à même la terre cendreuse, ma fille morte calée entre mes jambes, son dos froid reposant contre ma poitrine. Je lui ai dit que tout serait bientôt fini. J'ai murmuré d'une voix douce que j'allais retrouver Savanna Bay ; ses yeux restaient clos. Elle dormait. Comme jamais je n'ai pu m'y résoudre. »
Que dire de ce roman aussi noir que le charbon et la suie dont il fait des éléments centraux, sinon que Thierry
Di Rollo
réussit à donner corps à la misère, à personnifier l'ineffable folie qui s'empare lentement de Pennbaker et du monde alentour ? La solitude, la misère affective, le désespoir, la détresse, l'oubli, la mort... autant d'éléments omniprésents dans ce roman, qui poussent à bout des personnages brisés, vagues silhouettes humaines qui ignorent pourquoi elles tentent encore et toujours de survivre dans l'indifférence et le mépris de chaque instant, de surmonter un présent absurde et cruel, sans espoir ni issue, qui ne leur donne rien et leur prend tout jusqu'à leur dignité d'être humain. Pas une page de «La profondeur des tombes» ne peut ainsi être tournée sans un sentiment de profond dégoût pour cet univers étouffant, inhumain et lâche, sans un arrière goût douceâtre et déplaisant au fond de la gorge, sans un sentiment de malaise face à la souffrance morale indicible qu'éprouve Pennbaker. Car «La profondeur des tombes» dérange, malmène un lecteur qui s'immisce dans l'intimité de ce personnage, découvre un passé annonciateur du cataclysme au travers de réminiscences savamment dosées avant de plonger, impuissant, dans le gouffre sans fond de la folie.Le style est efficace, la plume incisive, peut-être même exutoire, et l'on se dit que Thierry
Di Rollo
est un auteur qui compte au sein de la science-fiction française, en lui apportant une touche bien particulière. Alors, lorsqu'on lui demande pourquoi ses récits sont généralement noirs et désespérés et qu'il répond que c'est tout simplement parce qu'il ne sait rien faire d'autre (1), on se dit que c'est peut-être vrai. Mais aussi qu'il écrit avec le cœur et les tripes, et qu'il le fait à la perfection.(1) Se référer à ce sujet à l'entretien accordé par l'auteur à actusf.com en septembre 2002.