Le monde est une décharge. Dans les villes, les déjections de l’ère industrielle pendent aux branches des arbres morts, tandis que les pauvres s’entassent dans des banlieues insalubres hantées par les chiens errants, avec en ligne de mire les miradors des quartiers nantis.
Mais il y a pire. Le nucléaire a été abandonné, non suite à une prise de conscience de la situation désastreuse, mais contraint et forcé par les avaries et les accidents. Les populations locales ont été généreusement payées pour démanteler et isoler les Défuntes, les anciennes centrales. Puis, on les a laissées sur place. Il faut dire qu’après s’être donné tout ce mal pour circonscrire le problème, ce serait stupide de laisser des ouvriers devenus eux-mêmes radioactifs se balader dans la nature.
Les pollués restent donc sur ces sites, avec plus grand-chose à attendre de la vie qu’une mort atroce. Toute leur existence à venir se retrouve donc condensée dans cette unique question :
" Souhaitez-vous être incinéré après votre mort ? "
Si vous avez répondu oui, félicitations : la charogne purulente qui vous servira de cadavre sera passée au brûleur. Si vous avez répondu non… hé bien, si on veut qu’un jour ce site soit décontaminé, ce n’est peut-être pas une très bonne idée d’y enterrer des corps hautement radioactifs, qui plus est infectés d’une mortelle maladie mutante.
C’est là qu’intervient le narrateur, fouisseur de sa profession. Le travail de fouisseur consiste essentiellement à superviser les repas du Number Nine, un chien génétiquement modifié aux mâchoires d’acier, gros comme un veau, moche, stupide, puant la merde et la mort. C’est Number Nine qui se chargera des dernières formalités concernant votre dépouille mortelle. Il est nécrophage.
" Tu as très bien compris. Seulement, tu ne veux pas admettre la vérité. Et tu ne veux pas croire à quel point tous ces gens sont fous. Ou si tu le crois, tu ne veux pas te l’avouer. Parce que nous ne vivons pas un cauchemar : nous vivons la réalité. "
Vous avouerez que c’est déprimant. Aussi, lorsque la séduisante Blandine, une polluée dont il est tombé amoureux, propose à notre héros ( ? ) de s’évader du site 13, il n’hésite pas longtemps. Il ne pose pas beaucoup de questions non plus. En fait, il est surtout spectateur de l’action, se contentant d’aller prendre l’air quand sa compagne, aux motivations opaques, paye leur fuite grâce à ses faveurs buccales.
Number Nine est le premier roman de Thierry
Di Rollo
, et il est déjà typique de son œuvre. On y retrouve un monde pourri, l’absence totale d’espoir, et un héros-victime engagé dans un road-trip meurtrier.Malheureusement, son style n’avait alors pas encore toute sa force évocatrice, même si l’on trouve ça et là, au détour de paragraphes, de petites perles noires qui laissent deviner l’auteur en devenir. L’intrigue souffre également d’un manque général de crédibilité.
Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que c’est un premier roman. L’impact aujourd’hui est amoindri si on connaît déjà l’auteur, mais il faut reconnaître que le baptême de
Di Rollo
a la forme et la consistance d’un coup de poing à la mâchoire. C’est un roman court et percutant, particulièrement cru dans son évocation de la violence. Dans un champ littéraire qui ne déborde déjà pas d’optimisme,Di Rollo
s’illustre par sa noirceur, et, dès l’origine, fait preuve d’une liberté de ton et d’une absence de compromission que peu d’auteurs osent imposer à leurs lecteurs. Et ça fonctionne.Number Nine est un premier roman plus qu’honorable, et malgré ses faiblesses évidentes, il se laisse lire d’une traite. Cependant, il apparaît aujourd’hui comme tout à fait dispensable par rapport à d’autres livres plus aboutis.
A réserver aux fans de l’auteur, donc. Les autres, vous pouvez passer votre chemin.