Il appartient à la société des Justes. N’allez pas croire que les Justes le sont. C’est leur nom, c’est tout.
Au loin, des fumées noires montent dans le ciel, qui témoignent des guérillas urbaines d’en bas, là où coexistent dans une violence totale, les Guérilleros, les Pauvres, les Entiers, les Fidèles et les Industrieux.
Ailleurs, sur Mars, les choses ne sont pas au mieux. Il semblerait que les terriens "martiens" souhaitent s’affranchir de l’approche de Dieu que la Terre leur impose.
On a beau lui dire qu’"Ici, Les Justes font œuvre de Dieu parce qu’ils s’en nourrissent ", John Stolker ne se berce d’aucune illusion sur ce monde. Il le sait pourri. Il n’a d’ailleurs qu’à regarder son père pour s’en convaincre: un père froid, implacable et sans scrupule.
Il a donc décidé d’aller voir ce qui se passe en bas. Pour refaire le monde ? Tenter de trouver une issue à tout ça ? Pas du tout ! Il descendra parce que la violence de ce monde lui plaît. Les faibles y crèvent et c’est bien normal. Les vautours y sont les prédateurs de l’homme et il se reconnaît en eux. Ne dit-il pas: "Moi un jour, j’ai choisi d’être vautour" ?
En bas, pas de problème pour trouver du boulot: Stolker devient tortionnaire chez les guérilleros. Cela va lui permettre de pouvoir continuer à se camer jusqu’aux yeux et à rencontrer lors de ses trips, Meddik, un éléphant géant et majestueux qu’il regarde toujours avec fascination et respect et dont il semble parfois quêter l’avis.
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Supposez que l’on vous donne ce livre à lire en vous cachant le nom de son auteur. Supposez que vous ayez déjà lu du Thierry
Di Rollo
, alors une chose est sûre : vous le reconnaîtrez.La première phrase est déjà évocatrice :
"Les vautours sont comme des virgules noires sur le fond gris du ciel."
Pas d’intrigue haletante. Pas de plausibilité. Juste ce qu’il faut de cohérence pour créer le choc, l’impression forte, pour donner la claque.
On voit à peu près d’où l'on part et lorsqu’on arrive, c’est certes sur un ailleurs, puisque le roman se termine sur Mars, mais c’est quand même finalement au même point, celui qui toujours permet de conclure : "Non, personne ne sera sauvé".
Stolker est un salaud. Il s’en délecte et s’analyse lucidement. Son boulot de tortionnaire lui plaît: "Je torturais plus ou moins, jusqu’à présent, et toujours au hasard des circonstances. J’ai appris à aimer cela". Lorsqu’il se fait lyrique en décrivant sa salle de torture, il est tout simplement odieux. Bien sûr, Thierry
Di Rollo
veut provoquer son lecteur mais ne franchit-il pas là une limite ?Y a-t-il du désespoir en Stolker ? Y a-t-il un embryon de pitié en lui comme cela semble parfois être - très fugitivement - le cas ? J’ai des doutes. Je n’en ai aucun sur ce qui l’habite réellement : la haine, la rage de tuer, le sadisme, la folie.
"Si Dieu est impuissant, je bande à volonté" pense Stolker et ce plaisir malsain et amer qu’il éprouve dans les actes les plus odieux nous éclabousse. On fermerait presque le livre: où commence la complaisance lorsqu’on lit de telles scènes ? Ne sont-elles pas un peu gratuites ? La limite n’est pas loin où le lecteur devient voyeur d’où ce malaise qui le gagne.
Mais c’est vrai, comment faire vivre au lecteur la folie de cet homme (des hommes ?) autrement qu’en la lui rendant insupportable ? Et cette folie, n’est-elle pas inéluctable si l’on veut survivre là où même les plus faibles deviennent des tortionnaires pour s’en sortir, à l’instar de Jaylinn, cette jeune fille devenue finalement l’assistante servile de Stolker et qui ne remet rien en question ?
Rien. Et c’est aussi ce qui dérange dans cette histoire : personne ne se révolte ni ne cherche à changer quoi que ce soit. Stolker, celui qui aurait pu tenter quelque chose, ce fils privilégié de Juste, préfère se vautrer dans sa came, dans sa haine, dans sa fange.
Et sur Mars, un monde nouveau pourra t-il émerger ? Porteur d’espoir ?
A votre avis ?
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Il y avait un risque.
Evidemment.
Celui qu’on compare.
Celui qu’on cherche dans Meddik l’émotion ressentie en lisant ce livre puissant qu’est La profondeur des tombes.
Et voilà, on ne la trouve pas…
… ou du moins pas la même car le dégoût relève bel et bien du domaine de l’émotion et c’est du dégoût qui nous envahit. Mission accomplie, Monsieur
Di Rollo
!John Stolker n’a rien du Forrest Pennbaker de La profondeur des tombes. Il en est même presque le contraire.
Qu’un faible rentre dans un système pourri faute de pouvoir faire autre chose, on le comprend voire on lui pardonne. Pennbaker n’a pas les moyens de se battre alors que Stolker les aurait eus du fait de sa position sociale mais il a choisi d’assouvir sa frénésie de meurtres. Pour qui s’est quelque peu identifié à Forrest Pennbaker, celui que le désespoir mène à la folie, il sera impossible de suivre Stolker, celui qui aime tuer. Empathie totale pour Pennbaker, répulsion viscérale vis-à-vis de Stolker.
La SF regorge de romans sur la violence. L’orange mécanique d’Anthony Burgess en est selon moi une des œuvres emblématiques. Il y est question d’un jeune délinquant Alex et de sa bande. Sans doute parce que Burgess utilise une langue bien particulière et sans doute aussi parce qu’Alex nous raconte son histoire sur un ton ironique dépourvu de haine, on ne peut s’empêcher de se faire piéger et d’avoir parfois pour lui, des bouffées d’empathie.
D’ailleurs Burgess ne dira t-il pas: "Alex est nous-même, mais d'une manière plus intense. Il possède les trois principales qualités humaines : l'amour de l'agression, l'amour du langage, l'amour de la beauté". ?
Ici, ce n'est pas le cas. Stolker est complètement dépourvu de l’humanité (si l’on peut dire !) d’Alex et comme une triste réponse à la phrase de Burgess, il déclare : "La beauté m’a toujours profondément ennuyé."
S’il est question d’un rire dans le titre, que l’on ne s’y trompe pas, ce rire-là est atroce, effroyable. Terrible épilogue.
Après La profondeur des tombes, T.
Di Rollo
a donc visé et tiré une nouvelle fois et une nouvelle fois, il a tué l’Espoir. "Non, personne ne sera sauvé". Le message est clair. Percutant. Reçu 5/5.Je vais en arriver à penser qu’il faut lire cet auteur comme on regarderait une peinture. C’est presque ainsi que j’ai lu Meddik : comme on regarderait un tableau, un tableau avec la touche
Di Rollo
donc forcément un tableau qui interpelle, un tableau violent qui vous agresse jusqu’au malaise. Peut-être un tableau comme cette huile de Fred Kleinberg : "Incendiaire"Thierry