Volodine
a déconcerté les lecteurs réguliers de la mythique pdf en seulement 4 romans.Changement de décennie et changement d’éditeur pour l’un de mes animaux littéraires préférés, puisqu’il passe chez un éditeur mainstream. Mais, comme le remarquera Francis Berthelot, il n’y a pas de rupture, mais plutôt une continuité, une cohérence de son Œuvre [1], pour qu’on l’aborde non pas sous l’angle sf, mais sous l’angle transfictionnel.
Car là encore,
Volodine
surprend ou agace, fascine ou exaspère : vous voilà prévenus !L’excellent Des enfers fabuleux, dernier roman publié avant ce Lisbonne, dernière marge, montrait la fascination de l’auteur pour Ulrike Meinhof, et son meurtre mal déguisé en suicide [2], qui donnait des pages particulièrement poignantes dans ses fabuleux enfers.
Ici, point d’enfer. Nous sommes à Lisbonne, en compagnie d’un couple d’Allemands : Ingrid Vogel et Kurt Wellenkind. Leur relation singulière s’explique facilement, puisqu’elle est une terroriste, et lui un flic. Amoureux d'elle, il prétend tout faire pour l’aider à s’enfuir et à disparaitre pour refaire sa vie en une lointaine contrée, sous un nouveau nom : Waltraud Stoll. Mais elle ne pense qu’à une chose : finir d’écrire son livre. Il s’agirait d’un roman à clés sur la lutte armée.
Ingrid Vogel fait bien sûr fortement penser à Ulrike Meinhof :
Volodine
est-il déjà dans un roman à clés en faisant d’Ulrike Meinhof le personnage d’Ingrid Vogel ? Mais quid alors de Waltraud Stoll ?30 pages donc sur notre couple atypique, puis une nouvelle couverture, celle du fameux livre d’Ingrid.
Dans le livre d'Ingrid, il est question bien sûr de totalitarisme.
A première vue, on a l’impression de lire un Mélange, ouvrage universitaire aux multiples contributeurs en l’honneur d’un universitaire. Etranges auteurs cependant, qui signent sous le nom de commune Katalina Raspe, de brigade Eva Rollnik (allusion là encore à la RAF et à ses signatures à… clés). Etranges auteurs donc, qui s’interpellent, polémiquent sur une époque et sur sa littérature, dont ils nous offrent quelques fragments qu'ils commentent.
Il n'est bien sûr pas possible de situer cette période de l’histoire humaine, ni dans l’espace ni dans le temps.
Volodine
va cependant encore plus loin dans l’hétéronyme [3], puisque dans ce Mélange apparaissent aussi Ingrid et Kurt, entremêlant leur histoire à ce mystérieux Mélange. Destins croisés du roman à clés dans le roman à clés, cet époustouflant jeu de miroir interroge au point de ne plus savoir qui écrit.Ce n’est pas par hasard que
Volodine
a choisi Lisbonne, la ville de Pessoa, grand maitre de l’hétéronyme. Il aurait aussi pu se situer en Grande-Bretagne, du coté de Christopher Priest, car son roman contient de singuliers accents priestiens (La fontaine pétrifiante, Le prestige), avec ces réalités manipulées et entremêlées. Mais à la sauceVolodine
, bien entendu.Ouvrage fascinant, aux entremêlements admirablement ciselés, ce livre confortera les admirateurs comme les détracteurs de
Volodine
, maître (dés)enchanteur s'il en est. Si l'on considère bien sûr qu'il est l'auteur de tout ce qui publié sous le titre de Lisbonne, dernière marge, mais qui sait ?[1] J’entends ici par Œuvre l’ensemble des publications de
Volodine
.[2] Les tatillons et les sceptiques pourront lire avec grand profit : La mort d'Ulrike Meinhof : rapport de la Commission internationale d'enquête publié en 1979 chez Maspero. L’enquête démontre irréfutablement l’impossibilité matérielle du suicide d’Ulrike Meinhof.
[3] Pseudonyme auquel un écrivain a cherché à donner une existence concrète, en lui prêtant une biographie, une œuvre, une évolution distincte de la sienne propre.