Egan
nouvelliste, on ne connaissait que quelques textes parus en revues (Galaxies, Bifrost), quelques introuvables publiés chez DLM, et une dernière poignée en ligne sur le site de 42.42 justement, a choisi de s’associer au Bélial’ pour sortir une intégrale raisonnée d’
EGAN
nouvelliste, dont voici le premier des trois tomes.Au sommaire, 18 nouvelles (dont 10 inédites en français sur papier, et 8 éparpillées aux sommaires de diverses publications), avec en prime traductions révisées et une bibliographie complète du mystérieux australien pour clore le volume.
J’avoue avoir été un peu effrayé par la réputation d’auteur abscons qui collait à la peau du romancier. A tort ? La première nouvelle, « L’assassin infini », sans être incompréhensible, mêle tout de même physique quantique et poussières de Cantor : on a vu plus grand public ! Mais soyons honnête, sans grande culture scientifique, le sens de la nouvelle ne m’a pas pour autant échappé.
En fait, ma principale surprise vient de la diversité dont
Egan
sait faire preuve, pour mieux surprendre le lecteur et écorner sa réputation d’auteur inabordable. Ainsi, dans « Lumière des évènements », il s’appuie sur la science pour prévoir l’avenir (et ne peut donc se tromper, contrairement aux économistes qu’il y éreinte), et se laisse aller à une fort plaisante satire, dans ce texte aux accents dignes de Borges. Il est fasciné par la biologie, la génétique et la médecine, ainsi que leurs dérives, qu’il met au cœur de nombreux textes. Il aborde de front l’eugénisme avec « Eugène », les manipulations génétiques avec « La caresse » ou « Les douves », un texte remarquablement construit et dont la conclusion est particulièrement glaçante. Même chose d’ailleurs pour « La morale et le virologue », où un petit génie de la génétique, accessoirement chrétien fondamentaliste, veut devenir le bras armé de la vengeance divine en créant un virus qui punira tous les déviants de la morale judéo-chrétienne. Où l’on voit d’ailleurs qu’Egan
sait prendre ses distances avec un personnage antipathique (par l’usage de la 3e personne du singulier au lieu du je), dont il ne partage vraiment pas le point de vue. MaisEgan
sait aussi se faire particulièrement émouvant, en remettant en cause l’ordre biologique, avec « Le p’tit mignon », où un homme décide de tomber enceint pour donner naissance à un p’tit mignon. Un enfant qui ne vivra pas plus de 4 ans, et n’apprendra même pas à parler, si tout se passe normalement... Jusqu’où l’homme poussera-t-il la science pour son bonheur égoïste ? La réponse d’Egan
est incroyablement touchante. « L’enlèvement » se rattache aussi à ce penchant émouvant, mais lucide sur les dérives du capitalisme, où un homme reçoit un message du kidnappeur de sa femme, alors que celle-ci n’a pas quitté le domicile conjugal. Paradoxe temporel ? La réponse est bien plus surprenante. L’émotion encore et toujours, mais cette fois aux limites d’un fantastique évoquant la sensibilité de Sturgeon avec « Le coffre-fort », dont le héros change tous les jours de corps, et entre à chaque réveil matinal dans la vie d’un inconnu. Un très grand texte assurément, dont l’accroche et la conclusion se répondent en un sublime écho.S’il n’écrit pas de nouvelles à chute façon Brown, il ne sait pas moins soigner ses fins, comme on pourra le voir avec deux lectures consécutives d’un texte comme « Axiomatique », qui sait délicieusement se jouer de la conscience morale, sur fonds de polar mâtiné de nanotechnologies.
Car
Egan
apparaît finalement comme un moraliste. Non pas au sens d’un promoteur de l’ordre moral, bien loin de là. Mais plutôt comme un homme d’éthique, tels que le furent les libertins. Il défend finalement une morale naturelle, matérialiste et immanente qui préfère se baser sur l’hédonisme et la tolérance, plutôt que sur les dogmes d’une Révélation transcendante.« Jouis et fais jouir sans faire de mal à toi ni à personne » disait Chamfort.
Egan
est un peu le Chamfort de la sf, et bien plus encore. C’est surtout un nouvelliste plus que recommandable : indispensable tout simplement, et à n’en point douter un challenger de poids pour les prix littéraires catégorie sf de l’année 2006 (même pour les razzies, catégorie couverture).Le doute n’est donc plus permis : « Axiomatique » est certainement l’un des livres les plus importants de l’année, qui ne peut que figurer en très bonne place dans toute bonne bibliothèque sf.