McKinnon en sait trop. Pour fuir ses ennemis, il demande de l'aide à Barnett, le trafiquant en tout, et en rêves, et celui-ci, par caprice, l'envoie à l'abri auprès d'un de ses amis, Paul Tenzer, dans le haut pays de Kalimantan, qui est l'ancien nom de Borneo.
Au début, tout se passe bien, et Barnett est plutôt surpris de constater que le sauvage Tenzer semble bien apprivoisé par McKinnon. Cependant, un jour il reçoit une lettre suffisamment inquiétante pour commencer à son tour un voyage vers l'amont du fleuve Il est extrêmement urgent que tu viennes me voir le plus tôt possible. Je n'ose me confier davantage par écrit, mais sache qu'il ne s'agit pas d'une requête ordinaire. Je t'en prie, viens, mon vieil ami, et ne t'alarme pas des phénomènes dont tu peux être témoin dans le pays au-dessus de Longnawan. Il ne te sera fait aucun mal.
Effectivement, il se passe des choses étranges : l'un des villages qu'il visite est complètement déserté, même si la demeure de la waidan (= chamane) semble habitée d'une présence à demi visible ; son guide Dayak meurt de façon étrange.
Finalement, Barnett arrive pour trouver les deux hommes transformés : Tenzer a vieilli d'incroyable manière, et cherche refuge dans l'alcool, tandis que McKinnon semble beaucoup plus sûr de lui, tout en gardant un côté enfantin. Cette transformation semble liée à une drogue que McKinnon a raffinée et renforcée, et qu'il est le seul à utiliser, depuis la disparition de la waidan. Barnett va se débrouiller pour se procurer la drogue et, avec un peu d'aide de la waidan, tuer McKinnon.
D'un roman à 4 personnages, qui fait moins de 200 pages, l'action est vite résumée, mais ce n'est vraiment pas là l'essentiel, même si on ne s'ennuie pas une minute. Ama l'essentiel, c'est d'abord le style de
Shepard
, grand maître de l'image : Le brouillard nous enveloppa, et notre feu de camp prit un aspect fantomatique ; les flammes pâlissantes semblèrent animées d'un lent lascif ondoiement, pareil aux mouvements de danseurs flamboyants. Le brouillard étouffait tous les bruits, jusqu'à la condensation dégouttant des feuilles, qui était davantage une absence amplifiée qu'un son, un creusement incessant dans l'immobilité de la nature.C'est ensuite la complexité des personnages et de leurs rapports, ainsi que de la fascination composite qu'ils éprouvent pour Kalimantan C'était une sorcière, une femme de la forêt, une voyante qui avait accès à d'autres mondes et, à de nombreux égards, j'étais un enfant à côté d'elle. Pourtant, malgré nos différences, nous partagions une hantise, quelque authentique que fût cette dernière dans son cas, quelque impure qu'elle fût dans le mien : la vénération de la terre, des étendues sauvages de Kalimantan...
Enfin,
Shepard
décortique ama finement le colonialisme et ce que je décrirai comme l'inéluctabilité de ses effets "Tu ne seras jamais de Kalimantan, mais tu n'es plus anglais non plus. C'est comme si tu étais d'un endroit qui serait nulle part. [...] Pour moi, ils (les occidentaux) se ressemblent tous. Ils ne savent pas voir ni sentir. Ils se contentent de faire. On dirait des fourmis qui bâtissent un pont de sable en croyant qu'il va durer éternellement." [...] Pour moi, les lieux possédaient les ressources d'un parc d'attractions ou d'une station de pleine nature. D'ailleurs, si je survivais, songeai-je, peut-être violerais-je ce maudit sanctuaire... j'y installerais des baraques de souvenirs pour vendre ma camelote, des sandwiches, de la crème glacée et des reproductions de l'épave d'astronef. J'organiserais des visites de la cité inconnue. Pourquoi pas ? Nul doute que je tirerais d'immenses satisfactions de l'opération.En résumé, un roman fascinant, qui démontre s'il en était besoin que l'auteur est à l'aise dans tous les formats, et en Asie aussi bien qu'en Amérique du Sud.