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lacroute

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Sous Des Cieux Etrangers

Lucius Shepard


Sous Des Cieux Etrangers
Illustration : Pascal Casolari
Titre original : (Pas d'équivalent en VO)
Première parution : 2ème trimestre 2009

 Pour la présente édition :

Editeur : Le Bélial'
Date de parution : 2ème trimestre 2009
ISBN : 978-2-84344-096-0

La critique du livre
Lire l'avis des internautes (2 réponses)

Shepard

, tu es là sous mes yeux, dans l’épaisseur d’un fort volume de chez « Le Bélial ». Sous le titre de « Sous des cieux étrangers », un recueil de cinq novellas.

Shepard

, jusqu’ici, je n’ai jamais pu finir le moindre de tes textes.
Faute à la forme que tu imposes à tes écrits. De longues phrases tortueuses au creux desquelles je me perds. Une prose luxuriante et belle, je n’en disconviens pas, mais qui rapidement m’abandonne, égaré et désespéré en pleine jungle verbale, loin de tout repère stable. Contraint je fus, à chaque fois, de refermer le volume ouvert, tout espoir abandonné.
Et pourtant cela me gène, car je pressens qu’au cœur de tes récits vit l’exception d’un auteur à part qui manie à sa manière les codes traditionnels de la SF et du Fantastique.

Point de résignation donc. "Wait and see", m’étais-je dis.
J’attendais simplement l’instant où, convié à l’un de tes voyages, je me plongerai dans un de tes écrits, assimilerai enfin la construction de tes phrases, accepterai ta manière et goûterai ce que je t’ai longtemps suspecté d’être : un grand parmi les grands.

J’ai suffisamment par le passé collectionné tes textes sans les lire pour qu’enfin s’offre une chance de traverser la jungle, apparemment inextricable, de ta prose. Et puis, n'est ce pas, seul le premier pas compte. Or donc, le voici enfin réalisé:

Cinq nouvelles sous mes yeux. Environ une centaine de pages chacune. Inhabituel, non.. ? Ainsi : premier constat. Lucius

Shepard

semble privilégier la forme semi-longue à la courte. Ce n’est pas, et de loin, du Fredric Brown ou du Jacques Sternberg avec leurs short-short stories dans lesquelles la mise en abîme n’attend souvent même pas la fin de première page. Ce n’est pas non plus dans la tradition standard de la nouvelle typique considérée comme un bolide aérodynamique qui file à l’essentiel. L’auteur fait dans le semi-marathon : la novella. Lui faut du temps au Lucius,. ! Celui de s’installer, de prendre ses aises, de caler un background complet. Cela sent presque la générosité du roman, ses chemins de traverse, ses digressions comme des appendices nécessaires au but final. En fait, lecture close, il apparaîtra que pour atteindre sa cible au cœur de chaque nouvelle,

Shepard

utilise bien la flèche traditionnelle de ce type d’exercice , correctement taillée, profilée et affûtée. Mais le projectile porte l’amorce de multiples bourgeons que l’auteur ne peut se priver d’utiliser tout en ne les exploitant sciemment pas à fond. Simples greffons comme promesses d’autres histoires. Et cela fonctionne à merveille, dans un effet de rendu exacerbé des êtres, des situations et des décors, qui rend l’irrationnel palpable.

Par quelle nouvelle commencer.. ? Allez, se confier au hasard. Mon pouce feuillette la tranche du volume. Stop.. !

A mi-chemin : « Radieuse Etoile Verte » (Prix Locus 2001)

D’emblée, une amorce typique du récit de SF, une phrase choc qui intrigue et pousse le lecteur curieux à aller plus loin. Cà tombe bien : Lucius, faut que tu me motives.. !

« Plusieurs mois avant mon treizième anniversaire, ma mère m’a visité en rêve afin de m’expliquer pourquoi elle m’avait envoyé dans un cirque sept ans plus tôt. Sauf erreur de ma part, ce rêve était un Mitsubishi, une biopuce de la gamme Moonflower qui dominait le marché de la pornographie à cette époque : programmé pour s’activer une fois que ma production de testostérone aurait atteint un seuil déterminé. »

Cet hameçon posé devant la bouche étonnée du lecteur,

Shepard

prend son temps autant dans la forme que dans le fond.
Et c’est ici que je l’attends, le Lucius.. ! Bongu de bongu.. !
Mais le tout au final, phrases trombone à coulisse et lentes errances annexes autour de l’intrigue principale., s’emboîtera en un ensemble cohérent où la prose ne se montrera pas si himalayenne et indomptable que çà..
(Ps : pour l’instant, dubitatif, je l’épie et le guète, observe et médis; mais in fine, vous l’aurez compris, c’est lui qui me piègera, prenez pas peine.)

Qu’offre cette nouvelle ? Un arrière-plan Imaginaire alimentant des ingrédients mainstream.

Les seconds :
_Un adolescent en attente de vengeance d’un père vénal, chasseur de dot et d’héritage, responsable de la mort de sa femme.
_Une maman qui « délibérément choisit une puce porno afin de provoquer .. [ ] .. un conflit oedipien de nature à souligner l’urgence de son message ».
_Un grand-père maternel richissime absent ou présent, mort ou vivant, c’est selon… !
Enfin bref du bel Œdipe bien freudien qui submerge une enfance, une adolescence et menace un age adulte si ce qui doit être réalisé ne l’est pas : le meurtre salvateur de la figure paternelle responsable de tous les maux.
Mais derrière la façade d’une histoire familiale déjà compliquée, peut-être doit t’on trouver d’autres réalités, d’autres enjeux, des destins autres que ceux décrits.. ? Rendez vous au final ; il y a du scotch dans l’air comme des bandes tue-mouches pendues aux dernières pages du récit.

Le tout plongé dans un background en demi-teinte SF/Fantastique accouplés :
_Un Vietnam profond, post nixonien, US go home donc, où circule un étrange cirque ambulant. Les talents des artistes à l’affiche n’y sont jamais vraiment clairement « autres »,

Shepard

entretenant une intelligente ambiguïté autour de leurs capacités. Pas de « Cristal qui songe » donc, ou alors si peu.. !
_Un vétéran de la dite guerre; qui, monstre de foire car défiguré par le napalm, cherche à exorciser son passé (si il s’agit bien du sien) en le racontant. Sa présence ponctuelle et récurrente au cœur du récit n’est nullement gratuite, la bête se montre au lecteur comme en écho au vécu et au ressenti du héros.
_De mutiples ingrédients science-fictifs agrémentant le tout, tournant le plus souvent autour d’un cyberpunk soft, ils ne noient pas le récit mais seront indispensables à sa conclusion.


Faisant fi des denses circonvolutions de la forme, acceptant avec peine la lente mise en cuisson de tous les ingrédients indispensables à l’intrigue, je me suis fais agripper par un final qui s’attache à un destin tragique, qui arrachera des larmes à certain(e)s. Oui, je…et alors, j’ai pas honte.. !

Shepard

, m’as tu enfin choppé.. ? Rien n’est moins sûr: gagner une bataille n’est pas gagner la guerre.. ! Rendez-vous à la prochaine étape.

Bernacle Bill le Spatial :

Excusez du peu. Prix Hugo, Asimov’s, Locus & Science Ficton Chronicle. Rien que çà. Et ces récompenses sont au combien méritées.

Ici, nous sommes en plein territoire SF.

Une station orbitale, baptisée « Solitaire », relie une Terre qui se meurt (surpopulation, écologie, émergence de mouvements religieux radicaux) à un espace infini en attente de colonisation. Cette plateforme constitue l’ultime espoir d’une Humanité à l’agonie, pour peu que les vaisseaux éclaireurs qui en partent reviennent avec l’espoir d’une planète habitable.

Mais des lointains, jusqu’à présent, aucune nouvelle…

« Solitaire » est, face au vide qui l’entoure, un espace clos restreint, hyper technologique et, donc, à quota humain limité et surtout spécialisé. Pas de place pour l’inutile, le corps étranger de luxe. Or Bill est un attardé mental : sa mère, enceinte à bord, a trompé informatiquement les contrôles génétiques anténataux. Il va catalyser la haine d’un équipage, contraint de le garder bouche à nourrir inutile : brimades, violences, surnom.. ! Bill ne s’intéresse qu’aux colonies de coquillages spatiaux (semblables aux bernacles) qui tapissent la coque externe de la station : un mal pour un bien, ils en renforcent la structure.

Dans le même temps, John, un employé de la Sécurité est confronté à bord à la montée d’un extrémisme religieux radical, venu de Terre, l’Inconnue Magnificence. Elle a vérolé d’obscurantisme le berceau nourricier, cherche à imposer ses vues sur « Solitaire », menace les projets de colonisation.

Or, Bill le Spatial constate que les colonies de bernacles abandonnent la coque externe, comme des rats quittant un navire, filent en grappes de plus en plus nombreuses vers l’infini.. ! Mauvais signe.. !

Si

Shepard

reprend une thématique déjà utilisée par d’autres : celle de l’attardé mental au destin hors du commun, il en malaxe brillamment les ingrédients, en tisse un long récit intelligent et attachant, bourré d’humanisme et paradoxalement de violences physiques et verbales.
Et surtout il nous offre une prose poétique d’excellente facture. Les descriptions d’espace profond sont à couper le souffle.

Shepard

n’en oublie pas, pour autant, la nature humaine : il dissèque ses personnages d’une plume douce et nostalgique ; ou acérée et vindicative, tout dépend de la position des uns et des autres sur l’échiquier du drame qui se construit.

Les longues phrases tortueuses qui me posaient tant problème persistent lorsque l’action se pose. Mais, à l’image de ce qu’un spectateur peut ressentir à la vision des lents travellings de « 2001, l’Odyssée de l’Espace » de Kubrick, elles construisent de longs paragraphes d’une beauté inoubliable. Et devenant courtes et saccadées, quand confinées aux dialogues (quelquefois d’une violence extrême) et à l’action (tout aussi décapante), elles constituent un contrepoint confortable et reposant.

Radical changement de ton avec « Dead money ».

Mode « Fantastique » ON.

A moins que l’utilisation scientifique d’une bactérie mutante, issue de la terre d’un cimetière en Louisiane, ressuscitant les morts n’inscrive le récit dans la SF.

Shepard

use de la modernité d’une multinationale pour éviter le vieux cliché du trop traditionnel Frankenstein d’antan.

SF ou Fantastique, donc ? Peu importe après tout.. !

Shepard

semblant ne pas s’attacher aux limites consensuelles des genres de l’Imaginaire, les brassant et les régurgitant à sa propre sauce, créant d’efficaces et novatrices recettes personnelles, nourries en outre de ses propres expériences. Il fait ainsi feu de tout bois en utilisant le bric et le broc observés au cours de ses voyages, plus en immersion profonde qu’en simple touriste.

Ici, la Nouvelle-Orléans. Bienvenue au paradis des morts-vivants, des bayous, du Vaudou indéracinable, des vévés, des esprits maléfiques, des dieux cruels (Ogoun Badagris et Ogoun Ferraille, pour ne citer qu’eux).

Et, hors background marécageux, en pleine lumière des riches et ostentatoires casinos de la côte, un joueur professionnel de poker rafle les « Dead money » (l'argent qui se trouve au pot mais qui provient de joueurs qui ne sont plus dans le coup) comme s’il voyait au-delà des cartes, au-delà des choses.

Cerise sur le gâteau, une thérapeute aux formes généreuses qui se doit de conditionner au plus près la nouvelle vie de ce bluffeur étrange venu de la terre. Beurk.. !

Rajoutez-y une pincée de mafia locale conduite par un redoutable parrain nourri à la télé-réalité et vous obtiendrez une novella, qui loin d’être la meilleure du recueil, se lit plus facilement que les précédentes, offre sa dose d’angoisse et de frissons et se clos sur une mise en abîme habilement préparée.

Fais gaffe,

Shepard

, je commence à devenir accroc.. ! D’autant qu’il apparaît que la nouvelle fait suite à un roman en Présence du Futur (Denoël Ed.) : « Les yeux électriques ». Prochain rendez-vous de lecture.. ? Rien d’impossible.

Dans « Limbo », quatrième novella, Jack Shellane en rupture de mafia, trouve refuge dans une minable location forestière des USA profonds. Il fait la connaissance de Grace dont les actes et postures sont, quoique attachants, pour le moins irrationnels.
S’ouvre ici un début de nouvelle comme sous la plume de Stephen King : le fantôme classique du Fantastique qui, pour une fois, matériellement très réaliste allie charme et tentation..
Le traqué solitaire, en repli sur lui-même, s’immerge dans la nature, se repasse le fil de sa vie, mentalement et par écrit. C’est l’heure du bilan. Désormais une seule alternative : l’éternelle fuite en avant devant ceux qui n’abandonneront jamais ou l’attente résignée du gibier qui acceptera la mort.
Mais Grace change la donne non pas tant par l’amour qu’elle lui offrira que par ce qu’elle lui cache. Elle devient l’objet de tous ses désirs, un moyen de rachat de son passé.
Les choses n’étant jamais celles qu’un héros peut espérer,

Shepard

lui offrira un bien étrange voyage au bout de la vie, au commencement de l’après.

Bien au-delà de son classicisme d’ouverture, le récit se démarque rapidement des bases du thème, débouche sur un onirisme macabre où se brouillent les apparences et se tord la réalité des lieux et la raison d’être de ceux qui s’y cherchent.

Magnifique.. !

« Des étoiles entrevues dans la pierre ». Ultime novella du recueil.

Lucius

Shepard

se sait auteur culte. Ce qui le chagrine au regard de l’argent qu’il y perd. (Cf sa fin d’interview in Bifrost n°51 qui lui est consacré). Mais il espère que les temps pour lui changeront. « Des étoiles entrevues dans la pierre » prouve que l’auteur, via un fantastique plus classique, plus linéaire et direct, sait construire un récit en accord avec les cheminements traditionnels du genre, même si sa conclusion semble se perdre dans une interrogation : sommes nous en territoire fantastique ou science-fictif.. ? Cette alternative fait tout le poids du récit.

Une bourgade perdue en Pennsylvanie : d’étranges pulsions, créatives et exacerbées, affectent certains de ses habitants depuis que des apparitions célestes lumineuses nocturnes en troublent la routine.

Shepard

avancera dans l’intrigue en prenant soin, ostensiblement, d’évoluer dans la résolution de l’énigme en oscillant sans cesse entre le rationnel et son antagonisme


En conclusion

Puis-je être, au final, objectif dans mon jugement sur ce recueil ?

Shepard

a-t’il donné ici le meilleur de lui-même.. ? Je n’en sais rien. Ces cinq novellas accolées, infimes fragments de sa production, m’étant les premiers écrits de lui enfin lus, je ne peux comparer avec ses parutions antérieures, les hiérarchiser qualitativement dans son oeuvre. Seul constat qui m’est permis, faire part de mon ressenti.

Shepard

manie habilement les genres de l’Imaginaire et du mainstream à sa convenance, les impacte les uns dans les autres, crée une substance romanesque poétique et/ou macabre à nulle autre pareille, le tout servi par une plume d’exception à laquelle il convient de s’habituer .
Toujours est t’il que j’ai pris grand plaisir à me réconcilier avec sa prose devenue plus familière ; à comprendre qu’à son sens il n’existe pas de cloisonnements des genres en territoire Imaginaire, que tout peut être prétexte à explorer l’âme humaine. Et que d’autres romans et recueils m’attendent pour y retrouver sa patte.




"Tout cela s’est passé il n’y a pas si longtemps sur la station Solitaire, par-delà l’orbite martienne, là où sont assemblés et lancés les astronefs de reconnaissance qui s’évanouissent dans une gerbe de feu de plusieurs milliers de kilomètres de diamètre, et c’est arrivé à un homme du nom de William Stamey, mieux connu sous le sobriquet de Bernacle Bill.
Une minute, rétorquerez-vous sans doute, j’ai déjà entendu cette histoire. Elle a été racontée et reracontée ! À quoi bon la ressasser ?
Mais qu’avez-vous vraiment entendu ?"

En cinq longs récits d’une implacable justesse, "Sous des cieux étrangers", manière de pendant à "Aztechs", lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire 2007, fait éclater les frontières des genres et célèbre la modernité d’une littérature ciblant le coeur de l'âme humaine.


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