Shepard
affiche une prédilection pour les thèmes de la fragilité du réel, les passions farouches des hommes, les sortilèges de la nature. Ce recueil n’y fait pas exception.Il comprend sept nouvelles :
Zone de feu Emeraude : G.I. en mission de reconnaissance dans la moiteur de la jungle guatémaltèque, Quinn Edward se trouve contraint de contenir les assauts d'un groupe de déserteurs manifestement désaxés car affirmant ne plus devoir obéissance qu'à une mystérieuse Reine, souveraine de ces lieux sauvages.
L'histoire démarre fort: le lecteur est placé au plus près de ce soldat en mauvaise posture, et comme ses sens sont exacerbés par l'adrénaline et les drogues militaires expérimentales,
Shepard
en profite pour magnifier l'étrangeté de l'endroit, hanté par la peur et une certaine magie.Par la suite, l'intrigue renvoie à des textes antérieurs (Salvador, Le chasseur de jaguar) et exploite des idées très semblables, trop à mon goût, d'où une légère déception malgré la qualité d'atmosphère.
Dernière valse à Nadoka : un rocker cherche à fuir ses erreurs passées en prenant la route, direction Tulsa, Oklahoma. Il sera bloqué avant destination, dans un bled où il fera deux rencontres décisives, avec une accueillante jeune femme et de sophistiquées machines à musique qui semblent lui parler en esprit.
Cette nouvelle m’a laissée sur le bord du chemin. Je n’ai pas perçu où l’auteur voulait me mener ni où battait le cœur du récit : dans les figures féminines opposées aux symboliques respectives de mort et de passé, de vie et d’avenir ? dans l’influence mystérieuse et fatale de la musique ? Je ne pourrai pas dire que cette histoire soit mauvaise; simplement, je ne suis pas entré dans la danse.
L'Aragne solaire : un fantasque chercheur, habitant avec sa belle épouse dans une grande station d’observation et d’étude du Soleil, est obsédé par la possible existence d’une forme de vie à la surface de l’astre.
Au-delà du contexte scientifique et du sense of wonder inhérent à la proximité de l’étoile du jour, ce récit, narré alternativement par les deux personnages principaux, est avant tout une belle histoire sur l’amour idéalisé, qui compense par la générosité des sentiments une intrigue somme toute pauvre en action.
L'Arcevoalo : un homme qui n’en est pas un se réveille dans la forêt amazonienne ; il est le bras d’une Nature revancharde dans sa guerre contre l’homme du futur, et son arme sera l’Amour.
Un héros qui découvre ses pouvoirs, le monde et, surtout, le tumulte des émotions humaines.
Une cité et ses habitants qui cachent leur laideur grâce à l’illusion technologique.
Une vision fantastique de joutes romantiques et barbares à la Roméo et Juliette…
Cette nouvelle est une splendeur.
Exercice spirituel : un prêtre, en crise de foi et fort sensible aux tentations de la chair, se rêve en meneur d’une révolution spirituelle où les vices des uns trouveraient leurs compléments dans ceux des autres. Il voit en ses ouailles de parfaits cobayes.
Entre psychologie et luxure, il plane sur cette nouvelle comme un perpétuel ciel d’orage, jusqu’au rugissement final du tonnerre.
Aymara : un jeune journaliste de Nouvel-Angleterre part au Honduras pour enquêter sur un ancien général américain, devenu mercenaire, et qui joua un rôle important dans les conflits qui ensanglantèrent la région. Il en ramènera une invraisemblable histoire de voyage dans le temps, qui lui permettra pourtant de lancer sa carrière, et s’éprendra d’une jeune femme qui, comme lui, a des sympathies pour les mouvements gauchistes.
Ancrée dans une dure réalité sociale, cette nouvelle n’en demeure pas moins une des plus science-fictives de cet ouvrage puisque l’auteur use du motif classique des paradoxes temporels. Et il s’acquitte de l’exercice de belle manière en dosant habilement le spectaculaire et l’intime.
Delta Sly Honey : Randall J. est un pauvre hère dans l’enfer du Vietnam. Assigné à la morgue, sujet aux brimades de son supérieur hiérarchique, il n’est vraiment vivant que lorsqu’il divertit ses compagnons d’arme par ses improvisations radio. Mais quand les soldats fantômes qu’il a inventé à cette occasion se mettent à lui répondre, c’est le cours de son existence qui en sera changé.
Cette dernière histoire rend superbement l’impression de confusion qui règne dans une zone de guerre où les morts et les vivants se cotoient et se ressemblent trop.
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Au final, alors que j’avais quelques réserves au début de ma lecture, la façon dont
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nous prend au cœur et aux tripes aura de nouveau emporté mon adhésion.Ce recueil plaira indubitablement à ceux qui ont déjà apprécié cet auteur, ainsi qu’à bien d’autres.