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Lisbei

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La main gauche de la nuit

Ursula Le Guin


La main gauche de la nuit
Traduction : Jean Bailhache
Titre original : The left hand of darkness
Première parution : 1969

 Pour la présente édition :

Editeur : Robert Laffont

Ce livre est noté   (4/5 pour 1 évaluations)


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La critique du livre
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Au fond de l'espace, une planète glacée, Gethen, nommée Nivôse par l'Ekumen, qui est une fédération très souple de civilisations. Sur cette planète, des enquêteurs sont déjà venus, incognito, et au vu de leur rapport l'Ekumen a décidé que le temps était venu pour Gethen d'apprendre l'existence des autres mondes humains par la visite d'un Envoyé.

Celui-ci, Genly Aï, est celui qui raconte l'histoire : Je donnerai à mon rapport la forme d'un récit romancé. C'est que l'on m'a appris lorsque j'étais petit, sur ma planète natale, que la Vérité est affaire d'imagination. Un fait irréfutable peut être accepté ou refusé suivant le style dans lequel il est présenté [...] De ce récit je ne serai ni le "héros" ni l'unique narrateur. Et même je ne saurais dire avec certitude quelle est la personne dont il conte l'histoire. A vous d'en juger.
L'Envoyé commence son séjour par des mois en Karhaïde, l'une des nations dominantes de la planète, gouvernée par un roi fou, dont le premier ministre, Therem Harth rem ir Estraven, croit à ses dires, et réussit à lui obtenir une audience auprès du Roi, avant d'être condamné à l'exil. Il réussit à gagner l'Orgoreyn, autre nation voisine et rivale de la Karhaïde, dont la forme de gouvernement et "l'ambiance" évoquent un peu l'ex-URSS. C'est là également qu'arrive l'Envoyé, auquel le remplaçant d'Estraven n'est pas favorable. Malheureusement, les Commensaux qui gouvernent l'Orgoreyn estiment leur pouvoir menacé par sa présence, et l'emprisonnent dans une de leurs Fermes de Travail (sorte de goulag), d'où Estraven, qui se sent responsable de son sort, le tire. Tous deux vont devoir traverser la calotte glaciaire pour regagner la "civilisation".

Voilà pour "l'action" du roman, si l'on peut parler d'action dans ce roman lent, très intériorisé, et dont l'argument de base, tel que je l'ai exposé ci-dessus, n'est ni très original ni passionant. Ce qui me pousse à lire et relire, et aimer infiniment ce superbe roman, qui a obtenu le prix Nébula en 1969 et le prix Hugo en 1970, c'est d'une part la forme d'écriture, une sorte de mosaïque à plusieurs voix, et d'autre part, surtout, les idées sur lesquelles il est bâti :

L'indifférenciation sexuelle :
Les indigènes de Gethen sont neutres, c'est-à-dire que, hors des périodes de rut, appelé kemma, ils ne sont pas différenciés sexuellement.
Les êtres normaux n'ont pas de prédisposition ni au rôle masculin ni au rôle féminin, ils ne savent jamais lequel ils vont jouer et ne peuvent choisir. [...] Une fois déterminé, le sexe ne peut changer pendant la période du kemma. [...] Le kemma se termine brusquement. S'il n'y a pas fécondation, le sujet revient à la phase du soma en quelques heures, et le cycle recommence.[...] Il ne se crée pas d'habitude physiologique : on peut être père plusieurs fois après quelques maternités successives.

Je ne peux citer in extenso, quelque désir que j'aie de le faire, les conséquences que tire l'auteure de cet état de fait imposé à ses personnages, en voici un très bref extrait :
Ils ne voient en leurs semblables ni des hommes ni des femmes. Et c'est là une chose qu'il nous est presque impossible d'imaginer. Quelle est la première question que nous posons sur un nouveau-né ? [...] Un homme veut faire valoir sa virilité, une femme sa féminité, si indirect et subtil que puisse être l'hommage qui leur est rendu. Sur Nivôse, cet hommage n'existe pas. C'est uniquement comme être humain qu'on y est respecté et jugé. C'est une expérience bouleversante.

La "précognition sur commande" :
Contrairement au précédent, ce thème n'est pas d'une grande originalité, mais la façon dont il est traité me paraît intéressante. Si j'ai bien compris, il s'agit de voir comment est "tissé" le temps, ce qui permet de répondre aux questions qui sont posées. Tout le problème réside dans les questions dont certaines sont interdites, et dans ce cas le Tisseur doit refuser d'y répondre (au péril de sa vie et/ou de sa raison). Ce qui est original, c'est la raison donnée pour pratiquer la précognition : c'est Pour démontrer la parfaite inutilité de connaître la réponse à la mauvaise question.

La télépathie :
Pas bien original non + a priori. Et pourtant, parfois, elle fonctionne bizarrement. Par exemple, Estraven entend dans sa tête la voix de Genly Aï lui parlant par la voix de son frère mort, ce qui le trouble infiniment.

L'inceste :
Admis entre frères sur Nivôse, mais interdit entre les générations. D'autre part, deux frères ne peuvent se jurer fidélité, et si leur union porte fruit, ils doivent impérativement se séparer.
Ce thème-là me paraît plutôt original, et audacieux, surtout si on le replace dans l'époque où le roman a paru.

J'ai cité ailleurs l'extrait qui donne son titre au roman, et je ne le re-noterai pas à la fin de cette chronique déjà fort longue, mais, pour la route, je vais quand même vous proposer un dernier extrait :
C'est très bien de voyager vers un but, mais ce qui importe, en fin de compte, c'est ce qu'apporte le voyage lui-même. [...] Glissant vers le nord, nous allons pénétrer dans ce vaste silence, domaine de glace et de feu où se lit en lettres gigantesques, noir et blanc, cette inscription qui barre tout un continent : MORT, MORT, MORT. Le traîneau est léger à tirer, léger comme une plume, et nous rions de joie.




Depuis son arrivée sur la planète Gethen, Genly Aï a toujours eu froid. Il risque bien pis, comme tous les Envoyés de l'Ekumen. L'Ekumen n'est pas un empire, mais une coordination de mondes habités. Sur cent années-lumière, la guerre n'aurait aucun sens : à quoi bon envoyer une armada sur un monde dont on recherche l'alliance ? Genly Aï est venu seul, comme tous les Envoyés ; s'il échoue, on recommencera dans un siècle ou deux. Mais les seigneurs de Gethen y voient un piège. La peur tourne vite à la haine, quand on découvre que l'Envoyé n'a qu'un seul sexe, et qu'il est perpétuellement disponible. Une monstruosité, voilà ce qu'il est. Sur cette planète hostile, il aura du mal à se faire accepter comme un ami — c'est à peine si l'on verra en lui un homme.

Ursula Le Guin, née en 1929, est la fille de l'ethnologue Theodora Kroeber. Depuis des années, elle occupe dans la SF une place à part : sans méconnaître les cauchemars ambiants, elle édifie des univers chatoyants où des personnages étrangement sereins s'essaient à tenir compte des autres, à respecter leurs particularités, à vivre ensemble tout simplement. Elle a obtenu le Prix Hugo en 1975, pour son roman "les Dépossédés".


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