Apprendre à connaître l’autre.
C’est un autre thème cher à Ursula
Le Guin
qui est abordé dans ce second livre du cycle. Celui de l’interaction entre les subjectivités humaines. « Les tombeaux d’Atuan » lui fournit l’occasion de le faire en changeant de sujet acteur. Nous délaissons un temps Ged pour fixer notre attention sur Tenar, une Kargue, et ainsi découvrir un autre point de vue.Pour Ursula
Le Guin
l’homme est un animal social capable de s’inventer des conduites à l’infini, capable de s’unir ou de se détruire. Dans l’univers de Terremer les peuples hardiques sont nombreux et différents. Par le passé après avoir connu une période d’union, ils ont cherché à se détruire et à réduire leurs adversaires en esclavage*. Chaque île de l’archipel se caractérise par des particularismes que l’on perçoit déjà au cours du voyage de Ged dans le premier livre.Les Kargues qui vivent dans quatre îles à l’Est, se singularisent fortement par rapport aux autres peuples de l’archipel. Ils sont blancs de peau alors que le reste de la population de Terremer est de teinte beaucoup plus sombre, voire noire. Ils sont déistes et rejettent la magie des mots alors que les hardiques sont athés et vivent en profitant des bienfaits du don. De ces différences naissent des relations d’échange, surtout sur la frontière, et des conflits ( raids et piraterie ). C’est d’ailleurs pendant une attaque kargue sur Gont que Ged se signale par son premier exploit.
Tenar, en tant que réincarnation de la précédente prêtresse des Innommables, est confinée depuis sa tendre enfance dans un système doublement fermé. Le premier mur mental est celui que les Kargues ont bâtit pour se séparer des peuples hardiques, les sorciers* comme ils les surnomment. Le second est fondé sur la religion dont elle est la servante. Prêtresse d’un culte tellurique, matriarcal, aussi ancien que Terremer, elle est à la fois l’esclave et la dépositaire de la puissance de ces entités. Progressivement, elle, la recluse et l’intouchable, est amenée à découvrir qu’il existe d’autres façons d’appréhender le monde. D’abord au contact du cercle étroit des religieuses du lieu des Tombeaux, les hommes étant tolérés uniquement sous la condition d’eunuques. Puis en rencontrant Ged, elle va se rendre définitivement compte à quel point les gens sont différents et à quel point leur façon de voir la vie est à la fois différente et enrichissante.
Pour renaître, il faut mourir.
Pour s’ouvrir à l’autre, il faut abandonner ses anciennes croyances. Il faut apprendre à reconnaître que nul homme ne doit être négligé car tous sont porteurs d’un potentiel d’expériences et d’interactions. Cette liberté à reconquérir n’est pas qu’un droit. C’est également une contrainte, celle de faire des choix. C’est ce choix qui est proposé par Ged à Tenar : mourir pour renaître au monde. On retrouve à nouveau ici cette conception dualiste du taoïsme déjà présente dans la magie. « La terre est belle, et lumineuse, et bonne, mais ce n’est pas tout. La terre est aussi terrible, et noire, et cruelle. Et là où les hommes adorent ces choses et s’abaissent devant elles, naît le mal. » Mal ou bien, une fois de plus, tout est question d’éthique. Mais que le fil est étroit et tranchant, que le choix est douloureux et tangent.
Notes :
* C’est cette période qui est appelée l’âge sombre. L’esclavage perdure d’ailleurs encore dans le premier livre de Terremer. C’est seulement le couronnement du roi Lebannen qui y mettra fin.
* le mur existe aussi chez les peuples hardiques qui considèrent les Kargues comme des barbares.