A courir entre sa blonde petite amie, son atrabilaire patron, un flic encombrant et une mélasse politique de plus en plus inextricable, notre médiocre fonctionnaire réussira-t-il à enfin sortir de sa coquille pour faire avancer le schmilblick ?
La forme :
John
Brunner
a écrit cet ouvrage en 1965, c'est-à-dire AVANT ses œuvres majeures, notamment la tétralogie noire. Toutefois on ne saurait qualifier ce livre d’ « œuvre de jeunesse » tant l’écriture y est bien maîtrisée. Contrairement à la technique de narration employée dans le troupeau aveugle ou tous à Zanzibar, le récit est à la première personne, et le lecteur se met dans la peau de Roald Vincent qui subit bien plus les évènements qu’il n’agit dessus. Cela donne un rythme soutenu, jamais relâché qui permet une progression cohérente du scénario au fur et à mesure que les pièces du puzzle s’assemblent en un paysage de plus en plus structuré jusqu’à un final magistral. Rien que pour cela, le livre est déjà un morceau de maître.Ostracisme et terrorisme :
Une des créations les plus inquiétantes de
Brunner
dans ce livre est l’apparition sur une terre pourtant bien paisible de la vindicative « ligue des étoiles pour l’homme » dont l’argument est tout simplement la supériorité de la race humaine… Cette association terroriste n’hésite pas à assassiner et à faire exploser tout ce qui peut se mettre en travers d’une domination des races ET par l’humanité, bien que cette idéologie ne semble que fort peu partagée par l’homme de la rue. Cette symbolique est assez fascinante, car d’une part elle nous évoque de futurs contacts extraterrestres pas forcément brillants de par une xénophobie latente endémique à l’espèce humaine et d’autre part elle nous renvoie à une métaphore des XVIII-XIX° siècles entre une Angleterre victorienne dominant les flots (ceci ne dédouanant pas les autres puissances coloniales que pouvaient être entre autres la France, la Hollande, l’Espagne) et justifiant l’asservissement de populations aborigènes au nom de la supériorité de quasi droit divin de la race blanche.Colonies et indépendance :
Toujours dans la métaphore de cette période, la colonie de Stellaris est clairement l’évocation des colonies américaines qui finiront par obtenir l’indépendance de la couronne britannique. En l’occurrence, les stellariens vont encore plus embrouiller une situation déjà trouble afin de faire éclater une crise pouvant leur servir de « Boston Tea Party » et justifier ainsi de se détacher de la tutelle de la vieille terre. Il y a là également une vue du futur assez originale de la part de
Brunner
quant aux relations que pourraient entretenir colonie et métropole à l’échelle spatiale.Les racines du futur :
Finalement, au-delà d’un scénario finement ciselé et d’une histoire concentrée et passionnante, John
Brunner
met en scène ce qui sera un argument majeur pour ses dystopies à venir, en l’occurrence ce que j’appellerais « l’heure du choix » pour une société qui peut devenir mature ou bien sombrer dans l’échec. Contrairement à la suite de son œuvre, ce livre est finalement éminemment positif, mais les choix sont parfois douloureux, surtout quand ils sont inévitables ainsi que s’en apercevra à son corps défendant Roald Vincent dans sa vie sentimentale…Ce livre est à mon humble avis un petit chef d’œuvre qu’il ne faut surtout pas rater. Je l’avais lu pour la première fois à l’âge de quinze ans et je trouve qu’il n’a pas pris une ride depuis. Ayant eu la chance de lire la VO récemment, je me suis également aperçu que la traduction superbe de Alain Dorémieux rendait bien hommage à ce géant de la SF qu’est devenu depuis John
Brunner
. Pour ne rien gâcher, l’illustration de couverture (sans aucun rapport avec le récit) en édition J’ai Lu est du maître Christopher Foss. A l’origine, il s’agissait de la couverture de « Raumschlacht im Vega Sektor », le numéro 6 des aventures de Perry Rhodan…Cette oeuvre qui ne fait certainement pas partie de la partie emergée de l'iceberg