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L'histoire
À sa façon, René
Barjavel
nous raconte l'histoire du fils du Diable, Merlin, mais aussi des chevaliers de la Table ronde, qui partirent à la recherche du Graal, au prix de leurs vies. C'est aussi le roman de l'amour véritable, qui peut faire d'un homme un roi, d'un roi un esclave, d'un esclave un magicien, d'un magicien un apprenti.L'analyse
Qui ne connaît l'Enchanteur? Il s'agit là d'un des plus fameux romans de
Barjavel
. Celui qui nous rapproche le plus de sa mort, survenue un an plus tard. Mais avant de laisserBarjavel
rejoindre les grands poètes, attardons nous sur ce roman.Depuis toujours,
Barjavel
reproche à la littérature de s'engluer dans une mièvrerie maladive. Pour lui, la seule vraie littérature, c'est celle des héros du Graal. Déjà, dans les années 70, il avoue regretter la période où les récits faisaient état des histoires de ces grands guerriers brutaux. Il a approché ce genre avec Les dames à la licorne et le Jours du monde, sans pour autant parler d'Arthur et de la Table ronde. Voilà qui est fait avec l'Enchanteur. Il ne quitte pas ce merveilleux qui le caractérise tant.Dans ce roman,
Barjavel
nous raconte sa version. Car il existe plusieurs versions du roman du Graal. Les auteurs post- Chrétien de Troyes font de Perceval le découvreur du Graal après un premier échec. Puis le mythe, récupéré par le christianisme, fait de Galaad, le fils de Lancelot, le seul et vrai héros du Graal, par ailleurs accompagné de Perceval. La bataille opposant Lancelot à Arthur pour la reconquête de Guenièvre est aussi postérieure à Chrétien de Troyes.Barjavel
suit la deuxième voie, celle de Galaad. Mais ce dernier n'a qu'un rôle extrêmement court. Les vrais héros sont au départ Merlin, Viviane, Arthur. Puis Arthur laisse sa place à Lancelot, le plus grand chevalier du monde.Mais le vrai personnage, c'est l'amour. Cet amour, qui s'apparente à l'interdit, qui unit Guenièvre à Lancelot dans un même lit, Perceval et Bénie, Merlin et Viviane. Tout au long du roman nous assistons à cette période tourmentée, mais aussi à ces moments doux (notamment la page blanche où juste est écrit "À l'intérieur de cette page blanche Guenièvre et Lancelot s'aiment", page 343).
Barjavel
se permet même des anachronismes, Merlin étant un puissant magicien. Il importe le chat, la boîte de conserve, la cheminée à gaz, et autres inventions farfelues au Moyen-Âge arthurien.De ce grand roman, que peut on garder? "Le Graal s'éloigne, dit Merlin. Il va s'éloigner pendant des siècles... Mais il reste toujours proche. Le chemin qui y conduit s'ouvre en chaque vivant..."
Extrait
Il y a plus de mille ans vivait en Bretagne un Enchanteur qui se nommait Merlin.
Il était jeune et beau, il avait l'œil vif, malicieux, un sourire un peu moqueur, des mains fines, la grâce d'un danseur, la nonchalance d'un chat, la vivacité d'une hirondelle. Le temps passait sur lui sans le toucher. Il avait la jeunesse éternelle des forêts.
Il possédait les pouvoirs, et ne les utilisait que pour le bien, ou ce qu'il croyait être le bien, mais parfois il commettait une erreur, car s'il n'était pas un humain ordinaire, il était humain cependant [...]
Pour tous, il était l'irremplaçable, celui qu'on voudrait ne jamais voir s'en aller, mais qui doit partir un jour.
Quand il quitta le monde des hommes, il laissa un regret qui n'a jamais guéri. Nous ne savons plus qui est celui qui nous manque et que nous attendons sans cesse, mais nous savons bien qu'il y a une place vide dans notre cœur
L'Enchanteur, pages 9-10