« François Deschamps soupira d’aise et déplia ses longues jambes sous la table.
Pour franchir les deux cents kilomètres qui le séparaient de Marseille, il avait traîné plus d’une heure sur un voie secondaire et supporté l’ardeur du soleil dans le wagon tout acier d’un antique convoi rampant. Il goûtait maintenant la fraîcheur de la buvette de la gare Saint-Charles. Le long des murs, derrière des parois transparentes, coulaient des rideaux d’eau sombre et glacée. Des vibreurs corpusculaires entretenaient dans la salle des parfums alternés de la menthe et du citron. Aux fenêtres, des nappes d’ondes filtrantes retenaient une partie de la lumière du jour. Dans la pénombre, les consommateurs parlaient peu, parlaient bas, engourdis par un bien-être que toute phrase prononcée trop fort eût troublé… »
L’histoire :
Paris, XXIe siècle. Les temps ont changé, la vie est maintenant plus facile que nos aïeux : le monde est à l’âge atomique, où tout est plus vite plus haut plus fort. Mais les gens ont décidé qu’il fallait se recentrer sur l’homme, et revenir à des technologies plus en adéquation avec leur mode de vie, basé parfois sur les loisirs et l’oisiveté.
François Deschamps est artiste et originaire de la campagne ainsi que Blanche Rouget. Officiellement, ils sont deux amis d’enfance, mais secrètement, il est amoureux de sa petite Blanche, insouciante. Et François s’inquiète dès lors que Blanche abandonne ses études pour devenir une star aux côtés de Jérôme Seita, magna de presse, qui n’arrête pas de mettre des bâtons dans les jambes de François. Soudain, le grand noir, dehors, c’est la chute des villes…
Le rat des villes et le rat des champs.
Barjavel
, dans ce roman décrit une civilisation où le tout atomique rend la vie de tous les jours plus facile, l’avènement des communications comme détentrice des pouvoirs économiques, par opposition aux gens des campagnes, encore bien loin de toute la technologie des villes, et bien loin de posséder tout pouvoir sur la nation. Sauf que… privés de toute énergie qui fait leur pouvoir, les citadins ne sont plus rien. Ils sont obligés pour survivre de se déchirer, de piller, et sont parfois incapables de faire face à la situation. A l’exception d’un jeune homme à l’éducation paysanne qui va réussir à organiser un petit groupe, et à lui permettre de survivre. Une situation qui, avouons le s’inspire de la situation de la guerre de 1939-1945, pendant laquelle ce roman est écrit. Le feu, les pillages, les maladies, les rationnements des personnages sont des métaphores à peine voilées de la situation des citoyens de Paris pendant l’occupation.Barjavel
y laisse le message que la vie, la mentalité paysanne est la meilleure chance à chacun de survivre à tout. L’esprit pragmatique, terre à terre, permet de faire face à la vie rude et parfois austère que l’on peut mener sans toute cette technologie qui fait des hommes des pauvres animaux sans défense.Le dénouement est d’ailleurs sans équivoque : revenons à la terre, sus à la technologie !
L’histoire.
Cette histoire de déchéance est magnifiquement décrite : la partie « la chute des villes » est un beau de moment d’écriture de post-apocalyptique. Le passage de l’asile des fous est particulièrement bien réussi.
Barjavel
signe avec de roman son plus gros succès car le plus étonnant dans le paysage littéraire du moment. La littérature française prend un tournant dans la science fiction à cette époque là. Il est l’un des pionniers.Un très bon roman à lire, même si la fin résume une opinion bien personnelle de l’auteur à cette époque.
Extraits :
« Un froid atroce envahit d’un seul coup le couloir. Les deux hommes voient le docteur reculer, tourner vers eux son visage convulsé d’horreur, ses yeux presque arrachés des orbites par l’épouvante regardant par l’entrebaillement de la porte ce qu’ils ne peuvent voir et qui doit être l’Abominable… Le froid leur a déjà gelé tous les muscles superficiels. Ils ont la peau dure comme de la glace. Ils ne peuvent plus bouger. Le froid s’enfonce en eux, atteint les côtes, les poumons. Le docteur tombe contre la porte. La porte se referme en claquant. »