« Il faisait un froid de guerre. Au petit matin, le sergent Mosté découvrit un soldat, demi nu, tordu en travers des feuillées. Le gel qui montait de la neige l’avait empoigné à mort. Ses cuisses sonnaient au doigt comme des planches. Quatre hommes l’emportèrent. Celui qui le prit par la tête lui cassa les oreilles. »
L’histoire :
1940, la France est en pleine guerre, et tous les hommes valides sont réquisitionnés. Parmi eux, un professeur de mathématiques, Pierre Saint-Menoux arrive par hasard devant une jeune fille brune au teint d'albâtre qui le menera vers son destin. Elle le fait entrer dans une salle où se trouve Essaillon, un homme handicapé sous les genoux et père de Annette, qui l'avait guidé. Il se présente comme la personne qui s'était intéressé aux travaux de Saint-Menoux juste avant la guerre et lui annonce avec un grand sourire qu'il savait que ce dernier arriverait à cet endroit, à cet instant. Pour le convaincre, il le fait revenir 2 heures dans le passé. Conquit, Pierre prend une pilule lui permettant de se retrouver 2 ans plus tard et de commencer l'etude et l'exploration du temps...
Aaah ! L'exploration du temps...
Un rêve que les hommes ont toujours voulu concrétiser, mais faute de pouvoir construire une théorie mathématique y menant, c'est toujours resté un rêve.
Mais comment appréhender ces voyages dans le temps, comment réguler les abus ?
Ce livre ne répond à cette question. Par contre, il répond à la question paradoxale du retour dans le passé qui est celle-ci : que se passe t-il si l'on revient dans le passé et que l'on change le cours du temps, à tel point que que l'on met en péril sa propre naissance, par exemple. Qu'advient-il ? Et il m'a fallu attendre la 175eme page pour que l'auteur réponde à cette question que je m'étais posée, en lisant la machine à explorer le temps de Wells, qui d'ailleurs avait totalement occulté la question. Par contre, à l’instar de Wells,
Barjavel
nous plonge vers l’horrible futur vers lequel nous tendons, froid, inhumain, terrible.Outre cette réflexion, Le voyageur imprudent est aussi une histoire d'amour, chère à
Barjavel
: les amours impossibles, inaccessibles, belles, que certains trouveront ridicules, mais qui sont la marque de fabrique de cet auteur que j'apprécie particulièrement.On ressent aussi la formation journalistique de cet auteur qui a le soucis du détail lorsqu'il s'agit de faits historiques.
A noter que ce roman date de 1958, alors un peu d'indulgence si le roman semble avoir pris quelques rides :
Barjavel
est un des grands auteurs écrivains français, un des pionniers, qui a exploré beaucoup des thèmes de la science fiction. Et il nous raconte de belles histoires.Un classique.
Extraits :
« En tous lieux où j’ai parcouru la terre, je l’ai vue jalonnée par des alignements des cônes où vivent les hommes-ventres. Entre ces constructions innombrablement pareilles, le sol est couvert de pâturages et de forêts d’arbres fruitiers. L’homme nouveau ne pratique pas la culture à proprement parler. Il s’est contenté d’exterminer tous les végétaux inutiles ou nuisibles. Il a également détruit les oiseaux, les poissons, les reptiles, les batraciens, […]tous les habitants des eaux, de l’air et de la terre, dont il avait renoncé à se servir. Les mammifères ont été réduits à deux espèces : les vaches et les porcs devenus, herbivores. »
« Une pensée tout à coup le frappa.
« Si maintenant, se dit-il, je changeais de route ? Si je passais sans m’arrêter devant les trois marches de la maison du sorcier ? Je suis libre de bifurquer. Je peux éviter les événements dont je prévois la venue, modifier ma destinée, rester un soldat comme les autres, pour qui le temps se mesure à l’accumulation des souffrances. Je peux aller m’embarquer sans voir Noël Essaillon… » »
La fiche du roman sur Culture-SF : Le voyageur imprudent