Et si Rome avait duré au-delà des Grandes Invasions.
Et si la civilisation européenne avait été éradiquée par la peste noire.
Et si Napoléon avait remporté la victoire à la bataille de Waterloo.
Et si, et si, et si...
Les divergences sont multiples et n'ont pour seule limite que l'imagination des auteurs d'uchronie. Elles fondent la richesse d'un pan entier de la littérature de l'imaginaire. Elles en sont également la faiblesse et le défaut de la cuirasse car si le champ des possibles est vaste, les points de divergence sont réducteurs et les scénari trop souvent répétitifs.
Une fois de plus.
Et si en mai 1941 l'Histoire s'était séparée de notre voie, le Royaume-Uni signant l'armistice avec l'Allemagne. C'est ce que propose Christopher
Priest
avec son roman La séparation.Le récit n'est pas le plus important ici car ce sont les possibilités qu'il offre qui priment. Aussi, je n'en mentionnerai que le début.
En 1999, Stuart Gratton, un historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, dédicace son nouvel essai consacré à la fin du conflit mondial dans une petite librairie de Buxton. Le chaland est rare et en plus il pleut. Une lectrice se présente à lui et aussitôt lui propose le journal intime de son père, J-L Sawyer, un ancien combattant de la RAF. Coïncidence, il se trouve que justement Gratton est intrigué par ce personnage, rencontré au détour de ses recherches historiques. Grâce à cela, nous découvrons en historien amateur les récits troublants et touchants des jumeaux Sawyer, Jack et Joe. L'un est pilote dans la RAF au cours d'un conflit qui a duré jusqu'en 1945. L'autre est objecteur de conscience travaillant pour la Croix rouge jusqu'à la fin de la guerre en 1941. Enfin, tout deux sont acteurs d'un épisode capital dans le déroulement de la guerre. Mais quand s'est-elle terminée déjà ?
A l'instar de The years of rice and salt, La séparation de Christopher
Priest
ne tombe pas dans l'ornière creusée par de nombreuses uchronies et qui consiste à diluer le procédé de la divergence dans une répétition nauséeuse. Le choix de la période historique, la Seconde Guerre mondiale, était pourtant casse-gueule. ChristopherPriest
évite le piège en nous faisant vivre une uchronie de manière intime, ici au travers du regard des jumeaux Sawyer." Un même esprit dans deux corps. " Ainsi sont-ils présentés à plusieurs reprises dans le roman. Un même esprit pour deux , voire une multitude d'Histoires, je me permet d'ajouter. Délaissant la question du sens de l'Histoire, Christopher
Priest
s'interroge sur sa direction et ses acteurs anonymes. Il ne met pas en scène une Histoire, la version officielle, mais une ramification de lignes historiques, celles vécues individuellement et intimement par chaque acteur. Et ces histoires se séparent en fonction de critères personnels et de bifurcations mentales. ChristopherPriest
bâtit ainsi une uchronie labyrinthique peuplée de doubles, de sosies, de doppelgängers dont les vestiges fantômatiques interfèrent d'une ligne historique à l'autre. Il nous balade en multipliant les points de vue ( tiens cela rappelle un certain Le maître du haut château ). Il nous égare et on aime cela. Il ébauche des pistes qui se révèlent sans issue et finalement nous largue en rase campagne sur notre faim mais l'esprit habité étrangement d'illusions lucides persistantes.Pour tout ceci, respect Mr