L’essentiel de ce roman se passe à la fin du XIXème siècle, un petit côté steampunk donc, quoique, pas vraiment, comme nous le démontre Pascal Patoz par une très judicieuse définition : « Il ne s'agit pas de steampunk, car ce genre implique un passé fantasmé et revisité à la lueur des connaissances contemporaines. Au contraire,
Priest
met en scène un XIXe siècle réaliste, une période charnière où l'illusion peut devenir réalité, où la fée électricité rend possible les rêves les plus fous, où le scientifique devient le magicien des temps modernes... non sans danger. Un siècle qui voit aussi naître la science-fiction : la « suspension d'incrédulité » nécessaire au lecteur de SF succède au « pacte d'acceptation de la sorcellerie » que signe inconsciemment le spectateur face au magicien. » Vous ai-je déjà dit que j’adorais les chroniques de Pascal Patoz ?Toujours cette histoire de rapport à la réalité si flou si subjectif et si parcellaire. Ici
Priest
s’amuse avec l’illusion et la réalité. Quel univers, mieux que celui de la prestidigitation pouvait servir de fond à ce jeu ? Ici la même histoire va être racontée par deux narrateurs, les principaux protagonistes même de cette histoire et chacun donne sa version et sa vision des faits. Ainsi les événements paraissent d’abord sous le jour très subjectif de Borden, certains faits et certains comportements paraissent irrationnels et incompréhensibles. C’est en prenant connaissance de l’autre version que petit à petit la lumière se fait sur ces gens, sur leur comportement. D’ailleurs, il me semble que les personnages qui ne racontent pas, restent souvent énigmatiques. Je pense surtout à Olivia, dont les motivations nous restent assez obscures. On s’aperçoit également que chaque narrateur ne dit que ce qu’il veut bien dire et tait ce qui peut être dérangeant. De plus, l’univers des magiciens est fait d’illusion et de mensonge.Ainsi, curieusement, mais de façon magistrale, le secret, le truc de l’illusionniste bien qu’étant un thème majeur dans ce roman, n’est pas le moteur essentiel du suspense du récit, le vrai mystère ne se situe pas là, mais bien dans l’énigme du comportement des personnages et de leur façon de raconter leur vie.
On sent, et ils le disent même, une attirance irrésistible des deux magiciens, une admiration de l’un pour l’autre et pourtant, la jalousie, l’orgueil vont à chaque fois faire échouer toute tentative de rapprochement. Quelque part, cette attirance-répulsion peut s’expliquer par le mystère qu’ils demeurent l’un pour l’autre, ils ne peuvent se comprendre chacun ayant une pratique et une approche différente de la magie. Différence d’approche à l’origine même de la dispute et trouvant ses origines dans les différences fondamentales de ces deux hommes : chacun semble être le contraire de l’autre, dans les origines sociale pour commencer.
Borden est LE vrai prestidigitateur : il respecte le pacte : il ment, il truque, il laisse les nécessités du spectacle envahir sa vie.
Angier est mauvais magicien, il ne comprend les trucs que lorsqu’on les lui explique, il viole le pacte et fait du charlatanisme : le public ne sait pas que le charlatan joue un rôle. N’arrivant pas à imaginer un tour assez spectaculaire, il trompe à nouveau son public en : c’est comme un aveu d’impuissance du magicien.
Alors que la magie de Borden ne restera qu’illusion inoffensive : il ment et le public sait qu’il ment, mais ne sait pas comment. La magie d’Angier, quant à elle, aura des conséquences tragiques : il ne sait pas mentir, et ne peut que montrer une réalité en faisant croire au public à une illusion. Le mensonge vaut mieux parfois ?
Et n’oublions pas les deux personnages qui sont nos contemporains et dont on devine assez rapidement qu’ils sont marqués par ces événements vieux de plus d’un siècle. Et de quelle façon ? Le mystère de cette malédiction, ne sera dévoilé que dans les toutes dernières pages avec un petit côté thriller, policier.
Cette scène de fin en a agacé certains. Je la vois comme une blague, une façon de s’amuser dans un style si éloigné du sien habituel, de la même façon que
Priest
s’était amusé déjà avec Wells dans la machine à explorer l’espace Pourtant cette scène s’intègre plutôt bien dans l’histoire et reste assez logique avec le reste du roman.Et à la fin on s’interroge sur un petit détail du début que l’on avait oublié…