Dick
a su trouver ses thèmes fondamentaux très tôt. Le livre rappelle fortement, à mon avis, une trame fantastique.Rappelons rapidement de quoi il est question :
Un groupe (dont le héros Hamilton et son épouse) visite le Bevatron lorsqu'un accident se produit. A la sortie de l'hôpital, certains d'entre eux ressentent comme une gêne indéfinissable, une inquiétante étrangeté. Ils découvriront peu à peu qu'ils ont effectivement glissé dans la vérité subjective d'un des membres du groupe. Et si en sortir les amène à une autre réalité tout aussi truqué, alors que leurs corps sont sans doute encore sur le sol du Bevatron, on comprendra qu'on nage en plein cauchemar...
allez hop :
Si L'oeil dans le ciel est encore de la Sf, ce n'est sûrement par la caution scientifique (1) que donne l'hypothèse initiale : une défaillance de déflecteur de faisceau protonique (sic) semble un prétexte un peu limite. Non, ce sera sans doute parce qu'il entre dans une catégorie toute science-fictionnelle : celui des mondes parallèles.
Dick
précisera lui-même que l'idée de base à été "volée" à l'Univers en folie de Brown ( chronique ici)Mondes parallèles qui sont ici autant de réalités subjectives. Poser qu'il y a d'un côté, comme l'aura dit PKD, le koinos kosmos (le commun) et, de l'autre, l'idios kosmos (le particulier, le subjectif) est une chose. En faire l'expérience, se retrouver plongé dans la vision subjective d'un autre, c'est une autre chose. Parce que, comme le dit l'auteur, la sf n'est pas un "et si", mais un "mon dieu ! et si... !!!" C'est donc par le biais du dramatique, de l'horreur, de l'hallucinant, que
Dick
nous fait vivre cette idée toujours vertigineuse : le monde que vous voyez n'est que votre réalité et celle du voisin pourrait bien vous surprendre...On ne pourra pas ne pas penser aux oeuvres à venir dont l'Oeil dans le ciel semble être une des amorces principales. Notamment à Ubik.
Cependant, le
Dick
de 55 (25 ans), n'est pas leDick
de la maturité. Et si, dans le Bifrost spécialDick
, n°18, Laurent Queyssi trouve que l'ouvrage est "une pure merveille de composition", je suis personnellement plus dubitatif sur la qualité de l'écrit.La structure globale m'a paru mal équilibrée, me faisant presque penser à une rallonge de novella, la description du premier monde subjectif traversé (comprenant un passage donnant son nom au livre (2) ) m'ayant paru bien plus longue, fouillée, travaillée que les autres. Elle m'a paru également un peu trop "scolaire" disais-je, précisons l'idée : un peu trop clairement déduite de l'idée initiale. De plus,
Dick
utilise parfois une imagerie un peu caricaturale (alors qu'en d'autres passages, il se montre beaucoup plus fin).Le tout me paraît un peu baroque. On pourra cependant admettre que, vu l'étrangeté du projet, ce baroquisme soit une qualité.
N'en reste pas moins l'étonnante intégration des thèmes futurs et récurrents de l'auteur.
Qui plus est, on trouvera une foule de moments proprement mémorables (le coup de l'escalier, celui de l'envol en parapluie, le distributeur à technologie ex-nihilo, une tentative désespérante de coït asexué, etc...) parfois proche de l'hallucination, flirtant avec le surréalisme ou convoquant des situations vraiment fantastiques.
Bref, quiconque s'intéresse un tant soit peu à
Dick
ne pourra pas passer à côté de ce livre. Ce n'est pas celui que je proposerai à un lecteur aguerri, mais c'est bien lui qui, un été 81 m'a fait tomber dansDick
.(1) caution scientifique : on ne pensera pas à un effet de hasard si je précise que le bevatron est un des premiers synchrotrons, construit à Berkeley, et qui a permis la découverte, en 1955, de l'anti-proton. On pensera même avec amusement - ou inquiétude, comme on veut - que ce domaine des particules concerne sans doute fortement la physique quantique, et que c'est en son sein que quelques travaillés du bulbe ont émis la théorie de... mondes parallèles...
(2) Ideos et koinos. La carte n'est pas le territoire aurait peut-être dit une des références