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Olivier

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Le maître du Haut-Château

Philip K. Dick


Le maître du Haut-Château
Titre original : The Man in the High Castle
Première parution : 1962

 Pour la présente édition :

Editeur : J'ai lu
Collection : Nouveaux millénaires
Date de parution : 2012
ISBN : 978-2-290-03547-4

Ce livre est noté   (4/5 pour 2 évaluations)


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La critique du livre
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Ce grand classique de Dick n’ayant jamais été chroniqué ici, sa nouvelle traduction est donc la parfaite occasion de corriger cette lacune. Signée Michelle Charrier, traductrice de Christopher Priest, on ne peut qu’en attendre le meilleur, et l’on n’est point déçu.

Quand il commence ce roman, Dick sort d’une période de grandes désillusions : il s’est entièrement consacré à son œuvre mainstream, mais aucun de ses romans n’a trouvé preneur. Seuls ses deux pires romans de sf (Dr Futur et l’affligeant Les marteaux de Vulcain) ont été publié directement en poche, par Ace books.
Remis de ses échecs, il abandonne la littérature pour aider sa femme dans son entreprise de joaillerie, aide à laquelle il prend plaisir et qui lui assure, enfin, un revenu confortable et régulier. La légende dit qu’il n’a pas d’idée précise quand il débute son roman, et qu’il s’aidera du Yi-King. Il faut tout de même ajouter qu’il a été fort impressionné, et on le comprend, par Autant en emporte le temps de Ward Moore (au passage, si une collection pouvait rééditer les romans de Ward Moore, voire en traduire de nouveaux, et puis quelques recueils de nouvelles aussi…).
Dick se lance donc dans l’uchronie, mais un peu à la manière de Priest dans La séparation.
Nous allons donc assister à l’appropriation dickienne de l’uchronie, jusqu’à en arriver, au-delà de l’Histoire, à une réflexion vertigineuse sur le pouvoir de la fiction.

L’histoire de cette uchronie est bien connue : les forces de l’Axe ont gagné la guerre, et se sont partagé le monde. La Méditerranée a été asséchée, et a permis à l’Italie de se reconstituer un ersatz d’Empire romain, évitant à Mussolini la fin minable que l’on sait : nous n’en saurons d’ailleurs guère plus sur l’Italie. Les Allemands ont liquidé toute la population d’Afrique subsaharienne, et presque tous les Russes. Voilà pour l’Europe, l’Asie continentale et l’Afrique.
Aux USA, la situation n’est guère plus brillante. Les côtes sont occupées : l’ouest par les Japonais, qui ont installé un gouvernement fantoche comme en Mandchourie. L’est appartient aux Allemands : les camps d’extermination ont fait disparaitre les Juifs qui n’ont pas pu fuir. Ils ont en outre tissé d’étroites et excellentes relations avec les ségrégationnistes de la Bible belt. Entre les deux subsiste un semblant d’Etat, essentiellement dans Rocheuses, enclavé et exsangue.
Les Allemands ont développé l’astronautique (grâce au SS-Sturmbannführer Von Braun ?), et la fusée est utilisée pour se déplacer sur Terre, mais aussi pour la conquête spatiale. Nous savons par contre peu de choses du Japon et des Japonais, si ce n’est que leur occupation est relativement clémente : même des Juifs ont pu trouver refuge sous leur joug. Voilà donc pour le reste du monde.
Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes uchroniques… sauf qu’un écrivain a publié un roman, Le poids de la sauterelle, racontant la victoire des Alliés en 1945.
Interdit du côté allemand, autorisé dans les Rocheuses, il est toléré par les Japonais.
C’est dans cette toile de fond, et autour de ce roman dans le roman, que vont interagir plusieurs personnages. L’essentiel de l’action se déroulera dans la zone japonaise, et une moindre part dans l’Etat tampon des Rocheuses.

SF ou uchronie ?
Le roman ne commence pas sur un évènement historique particulier, encore moins au moment où tout bascule. Ce n’est qu’une suite d’évènements quotidiens dans cet univers divergeant. Dick distille ici ou là quelques éléments, parfaitement intégrés à l’intrigue, qui permettent de se faire une idée des évènements qui ont abouti à ce monde alternatif. C’est d’ailleurs bien là toute la portion (congrue ?) de science-fiction que l’on trouvera dans ce roman. La conquête du système solaire tellurique ou l’assèchement de la Méditerranée, restent anecdotiques. Nous sommes bien plus dans la fiction que dans la science, et bien moins dans la sf que dans n’importe quel roman précédent de Dick. A défaut de percer dans le mainstream, il tente une hybridation entre mainstream et sf, expérience qu’il poussera plus loin encore avec l’excellent Glissement de temps sur Mars, sans doute son chef-d’œuvre méconnu.
Dick joue avec ses personnages, qui sont enfin de vrais personnages (surtout par rapport à ses deux précédents romans de sf cités supra). Comme nous sommes chez Dick, il faut bien sûr compter avec une multiplicité de points de vue, allant d’une grosse légume japonaise à un Juif ayant fui l’arrivée des Nazis, en passant par un Suédois qui ne semble pas vraiment être celui qu’il prétend : à travers ce personnage, Dick s’empare sans difficulté des codes du roman d’espionnage, qui lui siéent à merveille. A cela s’ajoute également un personnage féminin qui jouera un rôle de premier plan. Et bien sûr, des femmes aux cheveux noirs…
Si très peu se rencontreront, la plupart interagiront au fil d’une intrigue menée de main de maître, où la divination chinoise jouera un certain rôle.

Un roman politique ?
Nazisme et Japonais impériaux vainqueurs, New deal, Seconde guerre mondiale, Etats ségrégationnistes…
Ajoutez à cela que ce roman a été écrit alors que le Mouvement pour les droits civiques battait son plein, et vous avez un roman qui pourrait finalement être aussi uchronique que politique ! Penchons-nous donc sur la dimension politique de cette uchronie.
On remarque immédiatement la répulsion viscérale de Dick pour le nazisme, et notamment l’horreur que lui inspire son antisémitisme et son racisme exterminateurs, ainsi que son obsession du lebensraum… quitte à aller les chercher dans l’espace ! Au-delà d’une répugnance instinctive et pleinement justifiée, on sent que Dick a tout de même travaillé son sujet, en particulier quand il évoque des grades au sein de la SS, ou les batailles de pouvoir en Allemagne. On notera aussi une certaine sympathie pour Frink, le seul personnage Juif du roman : une sympathie philosémite que l’on retrouvera aussi dans le Nouvel Israël de Glissement de temps sur Mars. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce personnage en arrive à fabriquer des bijoux, à l’instar de Dick.
Notons également que l’on retrouve dans ce roman la même aversion de Dick pour la ségrégation que dans L’œil dans le ciel. Par contre, le Japon impérial n’apparait pas comme une puissance criminelle : la mémoire des atrocités jugées lors du procès de Tokyo sont curieusement absente.
Si nous n’avons pas, à proprement parler, un roman engagé, on peut toutefois déceler à travers les personnages une horreur assez vive de Philip K. Dick pour le racisme et l’antisémitisme, peut-être plus affirmée encore que dans ses romans précédents. A quoi nous pourrions ajouter une certaine xénophilie, notamment une attirance pour l’Asie. L’occupation allemande est à peine évoquée, mais le peu que l’on en sait n’est pas sans rappeler les régimes lugubres des Tiso, Pavelic et autres Horthy. A l’opposé, l’occupation japonaise parait plus douce. Si la zone japonaise accuse un net retard technologique, elle apparait comme un lieu de tolérance mutuelle et de bonne entente. La culture américaine existe toujours, Le poids de la sauterelle y est interdit quoique toléré. Les Juifs n’y sont nullement persécutés : le seul antisémite est au contraire un pur WASP. Une occupation qui tranche nettement avec nettement avec l’ampleur des crimes de guerre japonais lors de leurs occupations en Asie. On ignore d’ailleurs totalement le sort réservé à la Mandchourie et au reste de la Chine, à la Corée colonisée, etc. Pour ne rien dire de la redoutable machine policière et militaire mise en place au Japon.

Dick, Adolfo Bioy Casares, Gide
Dick a écrit son roman avant la première publication us de L’invention de Morel (1964 sur le site de la Bibliothèque du Congrès). Si l’Argentin préfère s’appuyer sur une fiction filmographique, l’Américain fait lui le choix d’une fiction romanesque dans le roman. Par cette mise en abyme, on pourrait aussi penser à l’unique roman d’André Gide, Les faux-monnayeurs. Mais le romancier, chez Dick, reste un personnage mineur, qui n’existe presque qu’à travers son livre. Précisons tout d’abord que nous en saurons finalement assez peu : seuls quelques extraits seront cités in extenso, et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on est loin du niveau littéraire de Dick. En revanche, Dick se sert du résumé qu’en font ses personnages pour brouiller encore plus la réalité. Tout d’abord parce qu’un résumé est subjectif, et n’offrira que quelques éclairages sur ce roman, dont nous ignorerons finalement le gros de l’histoire et les personnages. Uchronie dans l’uchronie, il laisse entrevoir une victoire des Anglais seuls car, rappelons-le, il reprend l’idée uchronique de l’assassinat de Roosevelt et d’une vague isolationniste aux USA. On peut également y voir l’antitotalitarisme de Dick, puisque la Russie bolchevique est défaite, et que le Royaume-Uni s’impose comme la puissance dominante, bien plus qu’il ne l’a jamais été au cours de son histoire.
Roman dans le roman, uchronie dans l’uchronie, il va jouer un rôle majeur au fur et mesure de l’évolution de l’histoire, jusqu’à y devenir primordial, quand le lecteur pourra enfin voir apparaitre le romancier, pour conclure ce roman avec une maestria toute priestienne, une réflexion sur la fiction et la réalité qui, outre La séparation évoque aussi un de ses autres chefs-d’œuvre, La fontaine pétrifiante et sa fameuse fin.
Déroutante jusqu’au vertige, elle peut déconcerter le lecteur : Kim Stanley Robinson la trouve même assez plate. Pour ma part, je partage l’enthousiasme de Laurent Queyssi dans sa postface, qui en explique parfaitement les ressorts et l’éblouissement.
Par-delà l’uchronie, Dick signe un roman majeur et surtout son premier vrai chef-d’œuvre. Un roman qui, de par sa qualité, s'inscrit finalement d'avantage dans la continuité du Temps désarticulé, que de sa production mainstream, que je trouve nettement en dessous de ses meilleurs romans sf (mais quand même meilleurs que ses pires van vogteries).
Magistralement retraduit et postfacé, agrémenté des deux chapitres d’une suite qui ne sera jamais écrite et disponible en poche : vous n’avez vraiment aucune excuse pour le louper.

PS : l’aspect science-fictif étant relativement mince, ce roman est parfait pour faire découvrir la sf à ceux qui la dénigrent, faute de la connaitre (les vaisseaux spatiaux et les petits hommes verts, c’est pas mon truc !). Cadeau idéal pour soi et les autres, donc.

PPS : un petit lien fort recommandable, qui recense toutes les couvertures du roman, y compris dans le monde germanophone.




1948, fin de la Seconde Guerre mondiale et capitulation des Alliés ; le Reich et l'Empire du Soleil levant se partagent le monde.
Vingt ans plus tard, dans les Etats-Pacifiques d'Amérique sous domination nippone, la vie a repris son cours. L'occupant a apporté avec lui sa philosophie et son art de vivre. A San Francisco, le Yi King, ou Livre des mutations, est devenu un guide spirituel pour de nombreux Américains, tel Robert Chidan, ce petit négociant en objets de collection made in USA. Certains Japonais, comme M. Tagomi, grand amateur de culture américaine d'avant-guerre, dénichent chez lui d'authentiques merveilles. D'ailleurs, que pourrait-il offrir à M. Baynes, venu spécialement de Suède pour conclure un contrat commercial avec lui ? Seul le Yi King le sait. Tandis qu'un autre livre, qu'on s'échange sous le manteau, fait également beaucoup parler de lui : Le poids de la sauterelle raconte un monde où les Alliés, en 1945, auraient gagné la Seconde Guerre mondiale...

Philip K. Dick (1928-1982) signe avec Le maître du Haut Château son premier chef-d'oeuvre, récompensé dès sa sortie par le prestigieux Prix Hugo.
Il est ici présenté dans une toute nouvelle traduction et augmenté des deux chapitres inédits d'une suite inachevée.





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