Précision au préalable : avant d'aborder cette Oreille interne, mes pérégrinations dans l'oeuvre du grand Robert se limitait à une visite des Monades urbaines ainsi qu'à de courts allers-retours dans ses nouvelles.
Ceci étant posé, le roman.
Thème classique du genre : David Selig possède un don, un pouvoir, appelons-ça comme on veut. En un mot, David Selig est télépathe.
On s'attend donc à une certaine forme de classicisme, développée sur l'air de "Ah mon dieu qu'il est difficile d'être différent des autres. Posséder un tel pouvoir n'est pas une sinécure. Sortez les violons s'il vous plaît..."
Sauf que
Silverberg
dépasse ce classicisme et envoie le lecteur directement à l'étape suivante : "Ah mon dieu qu'il est pénible d'avoir le don. Et qu'il est plus terrible encore de le perdre."Avec pour corrolaire immédiat l'idée suivante, David Selig ne se sent jamais aussi étranger au genre humain que lorsqu'il commence à en épouser tous les contours. En clair : plus je leur ressemble, moins je me reconnais en eux.
Imaginons un instant que de telles réflexions aillent se perdre dans un cerveau déjà bien chamboulé par les bouleversements en vigueur (on rappelle ici qu'il est en train de le perdre, son magnifique don) et constatons les dégats.
Les dégâts, ce sont 250 pages d'un roman très bien écrit, où l'on passe de réflexions sur tout et rien en flashbacks, sans omettre deux ou trois crises frisant le délire.
L'oreille interne est un roman "littéraire" en ce sens qu'il trimballe pas mal d'allusions aux grands auteurs passés (voir l'aspect le plus évident, la (tentative de) dissertation sur l'oeuvre kafkaïenne). A un moment donné, Selig nous expose sa bibliothèque, son parcours de lecteurs, ses phases. Il s'arrête alors sur la littérature russe et je dois avouer que le texte de
Silverberg
, par ses variations de narration (Selig passant de la première à la troisième personne pour se raconter), m'a évoqué par certains aspects des textes de Dostoïevski pour n'en citer qu'un.En résumé, un très bon roman pour ma part, très peu science-fictif en y repensant et c'est sans doute là son atout majeur au vu du thème envisagé au départ.