"Il était finalement sur la Terre de Holman. Il ne savait d'ailleurs pas trop pourquoi. Peut-être par cause d'une attirance irrésistible; peut-être par sentimentalité; ou peut-être même sur un coup de tête. Gundersen n'avait jamais envisagé de revenir sur cette planète. Et pourtant, il était là, debout devant l'écran panoramique, attendant l'attérissage, contemplant la sphère qui était assez proche pour qu'il pût la prendre et l'écraser dans sa main. Un monde légèrement plus gros que la Terre, un monde qui lui avait pris les dix plus belles années de sa vie, un monde où il avait appris sur lui-même des choses qu'il aurait préféré ne pas connaître. Les lampes rouges du promenoir s'étaient mises à clignoter. Le vaisseau allait se poser. En dépit de tout, Gundersen était de retour..."
L'histoire :
Gundersen est de retour à Belzagor. Après avoir été administrateur de cette planète pendant dix ans, il a assisté à l'indépendance progressive puis totale de ce monde où les jungles luxuriantes, le paradis vert recouvre une grande partie de sa surface. Au milieu des forêts se trouve une espèce intelligente, les nildoror, semblables à des éléphants qui ont la capacité de parler un dialecte local, et qui ont une sagesse apparente et une philosophie typiquement incomprehensibles des hommes. On dit qu'il seraient les gardiens d'un profond secret qu'ils gardent dans les profondeurs de la terre, et que Gundersen, poussé par la curiosité, si ce n'est autre chose, est décidé à éclaircir...
Mystère.
Ce qui envoûte véritablement le lecteur, dans ce roman est la part de mystère, centrée essentiellement sur ce secret, même si dès le début, Gundersen n'est pas focalisé sur ce secret. En effet, la seule chose que l'on sait, dans un premier temps, c'est que la planète l'attire, d'une manière telle, qu'il fait le voyage sur cette planète où on l'a pratiquement chassé. Malgré tout, l'attraction est trop forte, il a passé "ses meilleures années", nous écrit-il dans son introduction.
Etant administrateur, on ne peut parfois pas s'intéresser d'assez près à la culture locale, ses traditions, ses religions, son folklore et ses légendes.
Ses légendes...
Les nildoror.
Comment imaginer dans un premier temps des éléphants doués de raison ?
La tâche de Gundersen était d'exploiter la planète, pas de faire de sentiments envers cette espèce intelligente si proche et en même temps si éloignée d'une race intelligente. Sur Terre, on considère réellement les éléphants comme des êtres au-dessus du lot des autres animaux, mais ce sont des animaux. Personne ne songe leur prêter la moindre conscience, ou si peu.
Pourtant, nous devrions nous poser la question de savoir s'ils possèdent la moindre religion. Ne dispersent ils pas les restes de leurs morts, comme nous dispersons les cendres de nos morts incinérés ? Et ces véritables cimetières pour leurs morts, cachés au plus profond des forêts/savanes ? N'ont ils pas conscience que nous pillons leurs morts de leur ivoire ?
Ici, les éléphants ont la parole, mais gardent toujours caché le secret de leurs morts.
La jungle.
Lieu qui m'a toujours fasciné. Lieu de magie, lieu de terreur, lieu où la technologie et la civilisation n'apportent rien de rassurant à long terme, puisque la jungle reprend toujours le dessus tôt ou tard.
L'homme prend, la nature reprend.
L'horreur.
Le quatrième de couverture parle d'un hommage au Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad. En tout état de cause, ce roman apporte son lot de fascination, de magie, d'horreur, que j'avais retrouvé dans Heritage de Greg Bear, c'est à dire une mise en abîme, un tourbillon qui nous entraîne vers le fond où l'eau est vaseuse, et où fourmille tout un tas de créatures sorties des enfers.
Ce livre fait partie de mes préférés de
Silverberg
. A lire d'urgence.Extraits :
"Il ouvrit les yeux et dut attendre quelques instants avant de ne plus voir flou. Non, l'ancêtre se trouvait loin de lui et regardait dans une autre direction. Gundersen eut alors un curieux sentiment de prémonition et baissa la tête à l'instant même où il allait être décapité par ce qui l'avait frappé auparavant. Il s'enfonça dans l'eau jusqu'au nez et vit tourner au-dessus de lui une tige jaunâtre semblable à une vergue démontée. Puis il entendit d'effroyables cris de douleur et vit la surface du lac se couvrir de rides de plus en plus profondes. Il regarda autour de lui."
" Elle s'approcha du lit et ouvrit les paupières de Kurtz. Gundersen vit des yeux qui ne possédaient plus la moindre trace de blanc. D'un bord à l'autre, leur surface luisante était d'un noir profond parsemé de petites tâches d'un bleu clair."